mercredi 30 janvier 2013

le dos de l'homme



Ce matin les mots sont revenus. Quelques mots. Seulement les mots. Le jour encore chiffonné, concentrée sur la route, j’essayais de les retenir. Jeux d’enfants. File indienne, plusieurs lignes, un deux trois soleil, me retourne, les mots se figent. Ça recommence. Lassitude. Je les chasse. Ouste les mots, allez jouer ailleurs !
Moins de danger sur la route. Les yeux cherchent sur les côtés. Quoi ? Qui ? Aux abords de la zone commerciale, après le nouveau pont de la Durance, quelque chose me dérange. Il manque quelque chose. Ou quelqu’un. Quelqu’un n’est pas là. Quelqu’un dont je ne connais que le dos – voûté - et les mains au bas du dos. Vêtu d’un gilet jaune fluo, il marche sur le bas-côté entre sept heures et quart et sept heures et demie par tous les temps, un bonnet vissé sur la tête. Il vient du pont – le chantier démarre plus tard – aucune habitation par là – et il marche, penché vers le sol, d’un bon pas de vieil homme – ça se voit. Petite silhouette obstinée levée trop tôt avant d’embaucher. N’ai jamais vu son visage. De le voir chaque matin – même de dos-  me rassure, ne sais pourquoi. Mais ce matin, il n’est pas là. Me rends compte que les jours d’avant il n’y était pas non plus. Préoccupée par des peccadilles, je ne m’en suis pas aperçue. Ou ne l’ai pas vu. Peu probable cependant. Inquiétude. Une inquiétude succède à une autre – mais la première est vitale.
Les petits mots reviennent faire la ronde autour du dernier, un peu trop grand, un peu décalé. Le dos de l’homme qui marche au petit matin me manque. Demain peut-être…

samedi 26 janvier 2013

mieux

mieux vaudrait essayer de résoudre le problème, de me résoudre, plutôt que de faire la sourde ou la muette. mieux vaudrait le présent à présent que le conditionnel conditionné. mieux vaudrait arrêter d'arrêter. mieux vaudrai demain ou après-demain. aujourd'hui rien ne vaux et ne vais nulle part. nulle part ne m'échoit. mes choix? vraiment? mes choix? ça veut dire? ça signifie? 


dimanche 20 janvier 2013

en vrac



Semaine de peu. De peu de pas. Pleine de ne pas. De peu de neige (à peine quelques flocons mardi dernier) De peu de mots.  Pourtant, deux soirées théâtre : Vagues souvenirs de l’année de la peste de Lagarce –mon cher Lagarce - et Femme non-rééducable de Stefano Massini ne m’ont pas vraiment réveillée. Sinon cette phrase prononcée par Anna Politkovskaïa que je ne retrouve pas.


En vrac, avec les élèves, Les Misérables, L’Odyssée et les fabliaux du Moyen Âge. Des cours de grammaire aussi. Jawed qui s’endormait pendant le cours sur la voix passive, m’invectivant brusquement : pourquoi toujours les islamistes ? Pourquoi pas les Chinois ou les Yakuzas ? Parce je ne suis pas sûre de savoir orthographier yakuza. Esquive qui semble le satisfaire momentanément. J’efface l’exemple au tableau et inscris : Deux touristes ont été enlevés par un groupe de Yakuzas. La jambe de Jawed violemment agitée d’un mouvement ininterrompu, le soir pour la dernière réunion parents-profs ; à côté, le silence hostile de son beau-père. Un masque froid et en colère auquel je fais face avec l’un de mes sourires les plus désarmants. À peine un mois que je connais Jawed, aisance, vocabulaire et maturité à l’oral mais c’est le passage à l’écrit qui pose problème. Le beau-père acquiesce, raconte l’enfant précoce, l’incapacité du collège public à répondre à leurs attentes, l’ennui de Jawed en cours, l’exclusion, le passage dans le privé s’achevant par une bagarre et une dernière exclusion. Un peu avant Noël. Il aimerait que ça ne recommence pas, qu’on ne laisse pas les choses s’envenimer, qu’on soit vigilant. Poignée de main de fer. Jawed me sourit. J’ai réussi l’examen au moins avec l’un d’entre eux. Sortir du collège en colère, sans savoir pourquoi. Colère montant avec correction des copies des élèves. Jamais ils n’auront leur CAP d’ajusteur de mots. Quel que soit le niveau… tout ce que je croyais acquis… à qui ? à quoi ? à qui la faute ? à quoi bon continuer ? J’arrête de corriger, je ne décolère pas. Je vais marcher pour me calmer. Seule avec le chien.



En vrac, je suis. Humeur et temps instables. Froid, pluie, vent, neige. J’emprunte le chemin habituel à l’envers. Ne reconnais plus rien. Déstabilisée par cet envers du familier, par l’absence de lumière, l’inquiétude que suscite l’inconnu, et ce vent de colère en accord avec l’agitation intérieure. Du coup, ça me calme. L’euphorie me gagne. M’amuse au jeu un peu vain du dernier survivant parcourant ce qui reste de la nature au milieu des éléments déchaînés. J’avance vers le nord. À l’est tout est bouché. À l’ouest une lueur. 

mercredi 16 janvier 2013

à quoi ça sert?


A quoi ça sert ?
Difficile d’échapper une année à cette question. C’est la question qu’on vous pose un jour ou l’autre – lundi dernier - après un cours sur le premier portrait de Jean Valjean dans Les Misérables. C’est une élève de quatrième – genre à sortir un miroir de poche pour vérifier son maquillage, genre à se sentir mon souffre-douleur, genre à être changée de place- rappelée à l’ordre à plusieurs reprises, genre… À quoi ça sert ? Jamais la même réponse ne fais. Le plus souvent je pose une autre question – pour clouer le bec de l’oiselle (ou l’oiseau, ne surtout pas croire que) : à quoi ça sert de se maquiller ? à quoi ça sert la beauté ? Le temps qu’elle réfléchisse /réagisse, j’ai repris ou redonné la parole et l’on relève les éléments décrits de l’inconnu quand il arrive dans la ville de Digne en 1815. La question est importante cependant. Fin de cours, fin de journée, fatigue. Je remets ma réponse à plus tard.


À quoi ça sert ? d’aller au théâtre quand, fatiguée, vous allez voir une comédienne dire qu’elle est fatiguée - entendre une voix dire qu’elle est fatiguée, que cette voix incarne une autre voix –masculine -une écriture porte-voix d’une autre voix – assassinée – voix qui écrivait aussi et qui désormais ne dérangera plus, voix portant d’autres voix. Cette dernière voix, celle d’Anna Politkovskaïa… Cette voix – aux antipodes de celle d’un Hugo par exemple – qui refuse de se positionner, qui considère le lecteur comme un être pensant et intelligent – elle n’énonce que des horreurs vraies– côté russe ou tchétchène mais russe surtout - alors sa fatigue, elle se comprend… elle a continué jusqu’au bout. À quoi son combat a-t-il servi ? à quoi ça sert de faire résonner sa voix sur un plateau ? Servie sur un plateau. Alors à quoi ça sert ? ça sert à se poser des questions avec ses oreilles, à partager avec d’autres yeux, d’autres cœurs, ça sert à se sentir vivant, à penser que sa vie aura eu un sens.
Donner un sens à sa vie ? Madame, ça sert à quoi ?

JE SUIS FATIGUÉE
Je n’écris jamais de commentaires, ni d’avis, ni d’opinions. J’ai toujours cru - et je continue de croire - que ce n’est pas à nous de juger.
Je suis une journaliste, pas un juge et encore moins un magistrat. Je me limite à raconter des faits. Les faits : tels qu’ils se produisent, tels qu’ils sont. Ça peut paraître la chose la plus simple, ici, c’est la plus difficile. Et ça coûte un prix fou.
Quel prix ? Le prix que tu payes quand tu ne pratiques plus un métier, mais tu entres en guerre. Tu combats. Tu te sens un combattant. Et à quarante-sept ans, je suis fatiguée. Ni apeurée, ni découragée : fatiguée. Fatiguée de lire chaque jour dans les journaux politiques, que je suis folle. « Politkovskaïa, la schizo » « Politkovskaïa, la parano » Fatiguée d’expliquer à mes enfants pourquoi celui qui dit la vérité est un fou et celui qui ment fait carrière. Fatiguée de recevoir entre dix et quinze menaces de mort par semaine. Elles m’arrivent. Sur mon PC. Parfois au téléphone. Fatiguée de me sentir une criminelle. [...]

Stefano Massini, Femme non-rééducable, Mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa l’Arche, 2011

mercredi 9 janvier 2013

fin de la route


                                                       Photo de Philippe Marc 

Là où finit la route commence quelque chose. Quelque chose qu’on ne saurait nommer ; ou alors qu’on garderait au chaud pour plus tard. Là où finit la route un chemin commence qui va à  - ou passe par - d’où on vient par la route. Là ou finit la route quelques-uns – 48 au dernier recensement - ont choisi de vivre ou de mourir (mais ces dix dernières années on compte un seul décès pour six naissances). Là où finit la route, les ombres des arbres s’affichent aux murs sans pudeur, s’étendant de tout leur long  et gobant les derniers rayons roses. Là ou finit la route pourrait commencer un rêve éveillé. Là ou finit la route, on pourrait fermer les yeux, mais on commence à marcher.


vendredi 4 janvier 2013

vases communicants avec Wana


Pour ces premiers Vases Communicants de l’année 2013 et sur ce nouveau blog après déménagement, j'accueille avec plaisir Wanatoctoumi, oulipien convaincu et auteur du blog Wanagramme. Vous y trouverez un texte écrit d’après une contrainte proposée par Wana.
Que reste-t-il encore à vivre au monde ancien
Dont le prophète dit prévoir la fin prochaine
Meurs dit Grégoire au vieux calendrier julien

Se peut-il pour finir qu’un calendrier tienne
Que pour la nuit des temps sur le monde aboli
Règne le noir linceul d’un deuil de fin subit

Ou faudrait-il souhaiter cette fin diluvienne
Grand renouveau des temps d’un calendrier sûr
Que l’antique croyance offrait au monde impur

Wana                                        04/01/2013

Sur le schéma de la « térine » (ABC, CAB, BCA) les mots-rimes, ici, ne terminent pas les vers mais se trouvent placés en pénultième position
monde – fin – calendrier

Tiers Livre et Scriptopolis sont à l'initiative d'un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d'un autre, à charge pour chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement…
"Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre."
La liste des participants se trouve sur un blog dédié à ce seul usage, tenu à jour, mois après mois, par Brigetoun. Qu’elle en soit encore une fois remerciée, sans elle, les vases ne seraient pas lus…