Notre vision du monde n’est pas une question de lunettes
mais plutôt d’étui à lunettes. Ou alors de souplesse cervicale, d’inclinaison
du visage, d’angle de vue. La preuve ça fait déjà presque un mois que j’ai mes
nouvelles lunettes sans avoir remarqué que le monde n’est plus aussi beau. Ayant
moins de travail, j’aurais pu me consacrer à ce que j’aime : la mer pour y
nager, la musique pour y danser, la langue pour l’assouplir, la voix pour la
faire chanter. Au lieu de. M’agiter dans l’eau trouble d’un bocal plongé dans
le noir. Heureusement je suis un poisson chanceux (un poisson à lunettes) car
j’ai appris à lire. Sur l’étui à lunettes, est inscrit Axebô. Et les écailles me sont tombées des yeux. Et j’ai chanté Ah
que c’est beau ! Alors la lumière se fit. Je me suis rendue compte que non
seulement l’eau était transparente comme l’air, mais aussi qu’il n’y avait pas
de bocal. L’air de rien je n’avais. Ni branchies, ni nageoires. Mais des jambes
qui dansaient, de la musique dans mes oreilles, et une langue et une voix pour
chanter Axebô.
Vivre et faire vivre, disait-elle ce matin.