lundi 30 septembre 2013

le chien à l'école des escargots




Là où les autres vaquent, l’escargot va.
Certes, il ne va pas rapidement, mais il va.
Ignorant le mauvais temps, il vadrouille vaillamment. Ceux qui bavent sur sa lenteur, ne vagabondent pas. Lui, vagabonde abondamment.

Un escargot ignorant le présent de vérité générale, avait voyagé à pied jusqu’en Chine. Il y fit sienne cette maxime : « Ne craignez pas d’être lent, craignez seulement d’être à l’arrêt. » Même à l’impératif présent, c’était bien vrai : ses deux cousins, pour s’être trop entraînés à l’immobilité, étaient devenus pierres ornementales de piliers pour l’éternité.
Il fonda une école itinérante dans laquelle on apprenait à aller son bonhomme de chemin. De chemin buissonnier, ça va de soi. On apprenait à distinguer la saveur de la menthe poivrée ou du serpolet. Les petits suivaient les grands à la trace et les jours de pluie étaient jours de liesse. Le problème, c’était que parmi tous les colimaçons, aucun ne voulait être professeur. On passa une annonce dans l’écho des jardins. Un chien se présenta qui fit l’affaire, faute d’autre candidat. Il commença par leur apprendre à transformer le futur en présent : il suffisait d’aller plus vite que la musique leur disait-il. Et de joindre le geste à la parole. En un éclair, il atteignit la barrière. Il plaça les gastéropodes sur une ligne et donna le signal du départ. On devine aisément ce que cette course donna. Ils avaient beau se donner un mal de chien, ils n’avançaient pas plus vite que six centimètres à la minute. Le chien jappait, s’énervait, les agonisait d’injures, en vain. « Plus vite, plus vite ! aboyait-il, servez-vous de votre pied, ce n’est pas fait pour les chiens ! » Mais les escargots aperçurent des salades bien vertes, ce qui constitua à la fois leur seul horizon et leur présent d’actualité. Le dernier escargot de la file lança au pauvre chien : "C’est une opération escargot, vous n’y pouvez rien. Les chiens aboient et la caravane passe. Consolez-vous, vous aurez votre fable demain."



Pensant l’exercice facile, j’ai demandé à mes cinquièmes d’écrire des fables. C’est moi qui jappe et aboie devant leur lenteur à se mettre au travail et à avancer. Je leur devais cette fable (qu’ils me remercient de ne pas leur avoir infligé la salade !). Voilà c’est fait.




lundi 23 septembre 2013

gypaète barbu


Leonora Carrington



On avait inscrit au dos d’un ticket de caisse du Paradis bio « gypaète barbu – casseur d’os » mais on avait beau retourner le bout de papier dans tous les sens, on ne se rappelait plus la raison de cette mention. Ce jour-là, le 12/09/2013, à 12 : 04, on avait acheté deux grosses pommes, du raisin noir (0.660kg), du « boucherie traiteur » (barquette de taboulé), douze fourchettes en bois de bouleau et une barre de riz soufflé rumba rapunzel, le ticket l’attestait – Paradis bio vous remercie de votre visite à bientôt. Mais aucun souvenir du gypaète barbu. Peu probable qu’en improvisant un repas dans la voiture stationnée entre herbe et ciel, on ait vu passer un vol de gypaètes barbus. À cette heure-là, on écoutait la radio, mais les programmes habituels évoquent rarement les gypaètes barbus. À moins que… Oui, c’était une question du jeu des mille euros. On le confessait, on écoutait encore avec beaucoup de plaisir le jeu des mille euros, justement parce qu’il était de plus en plus rare d’entendre des noms aussi poétiques que « gypaète barbu ». Le souvenir revenait avec la question : Comment appelle-t-on l’animal surnommé « casseur d’os » ?
Depuis, l’eau avait coulé sur la fête du vent, l’automne violoneux succédé à l’été chantant, la lune décroissante à la lune croissante, la froideur indifférente au feu sacré, les copies à la copie… Les poussins gypaètes avaient grandi et déjà pas mal d’heures de vol… Ils ne savaient pas que, contrairement à eux, certains vautours incapables de voler mais casseurs d’os de pauvres, étaient nuisibles. On s’était renseigné : on avait appris la lenteur du rythme de reproduction des gypaètes barbus (un jeune à l’envol tous les trois ans, dans le meilleur des cas) ; on se sentait triste à l’idée de l’appauvrissement génétique et poétique des gypaètes barbus. 


samedi 14 septembre 2013

leonora et remedios




Parfois ça ne vient pas, ni feu ni lumière, ne restent que les vieilles ombres… Lire alors, s’identifier à ces deux amies, femmes peintres, libres, belles, de feu et de lumière, ce qui n’empêche pas tourment et tourmente. Ces femmes ont vécu au Mexique – décidément, je ne parviens plus à le quitter ce pays – il faudra un jour ne pas se contenter de l’ivresse livresque - s’appellent Leonora Carrington et Remedios Varo. Je reste inconsolable : Remedios vient de mourir aujourd’hui (quant à Leonora ce jour-là j’imagine aisément…)

-       Je suis hantée par un monologue que je n’arrive pas à interrompre et qui me tue à petit feu – dit-elle à Remedios. Il ne s’arrête jamais, se répète, se répète sans cesse, et j’ai beau faire, il continue à tourner dans ma tête. Je le transporte partout dès que le jour se lève.
-       Sors prendre l’air – conseille Remedios.
-       Je ne supporte plus Chiki et je ne me supporte plus moi-même. Je me disperse, mon corps est éclaté, je ne sais pas comment rassembler les morceaux.
[…]
-       Je sens que cette anxiété ne va jamais disparaître car elle fait partie de moi. Chaque matin j’ouvre les yeux au bord du précipice, persuadée que la chute sera épouvantable.
Leonora et Remedios partagent leurs états d’âme.
-       J’adore ton Angoisse. Pourquoi l’as-tu signée Uranga ?
-       Parce qu’elle était destinée à la maison Bayer – répond Remedios.
-       J’ai l’impression que tu as fait mon portrait.
-       Non, Leonora, ne dis pas cela, toi tu n’es pas ligotée. En plus, tu es supérieurement intelligente.

Elena Poniatowska, Leonora, éd. Actes Sud, 2012, p. 346.



dimanche 8 septembre 2013

poisson-clown



Photo de Philippe MARC (Beauduc) 


Le premier cours est capital. Il faut profiter du silence et de la clarté des eaux. Des deux côtés, chacun s’observe. L’idéal est de s’habiller d’un pull orange à rayures blanches et liseré noir - profiter de l’effet de surprise et du silence – le poisson clown nage jusqu’au tableau sans parler. On arrive d’abord avec un cartable et un grand panier dans lequel on aura mis au préalable quelques accessoires. On ne pourra plus se permettre ensuite de tourner le dos aux élèves. On écrit sur le tableau « Beau comme… ». On met ensuite le nez rouge (dos toujours tourné), on sort le parapluie noir, on se tourne vers le bureau et on pose la machine à coudre Singer. On extrait du panier deux bobines de fil rouge et de fil blanc. Tisse-t-on un texte avec un fil rouge ou le coud-on avec du fil blanc ? (demande-t-on) Qui est sur le fil ?
Qui élève-t-on ? Des élèves ou des thons ? Le ton s’élève-t-il ?
Le poisson clown n’aime pas nager en eaux troubles mais beaucoup les anémones de mer. Les anémones, avec leurs tentacules au fort pouvoir urticant, devraient constituer les prédateurs et les poissons les proies. Mais grâce au mucus sucré de ses écailles, le poisson-clown se protège des aiguilles urticantes de l’anémone. Ainsi vivent-ils en parfaite symbiose. Cependant, l’eau et le silence se troublent, ça murmure et ça glougloute. Les élèves n’apprécient pas les métaphores et les poissons-clowns. Cette première séance est ratée avec eux. On range la machine à coudre et on ouvre le parapluie. Avec la classe suivante, en revanche, les anémones sourient et écrivent  « Beau comme… »



lundi 2 septembre 2013

chauve-souris



La chauve-souris ne sourit plus. Elle disparaît de nos contrées et ça la rend coupable. On placarde des affiches dans des petits villages du Verdon. On aimerait bien qu’elle ne disparaisse pas. Qu’elle fasse sa rentrée. Elle nous enseignerait à percer la nuit et ses nuisibles. Quant à vos inquiétudes à mon sujet, ne vous en faites pas. Je tentais d’écrire ce que - faute de mieux - j’appelle un roman. Trop nombreuses les voix à se battre pour se faire entendre. Difficile d’y entendre la mienne. Y suis-je parvenue ? En tout cas, le silence revenu, j’ai transcrit quelque chose. Peu de choses à partager pour l’instant. Des images aussi picorées ici et là, entre Verdon et Camargue.


Aujourd’hui, pré-rentrée sans affectation. Je me suis rendue au collège où je suis rattachée et de nouveau le besoin irrépressible de me détacher de tout ça. L’attente commence. Le titre du roman ? Rentrez sans moi ! 



Photos prises ici (Bauduen) et là (Beauduc) entre le 14/08 et le 01/09 (hier)