vendredi 28 février 2014

rendre compte #5

Photo de Philippe Marc, Marseille, 25/02/2014 (merci pour la baie des singes et l'arc en ciel)



Si un jour tu gobes les couleuvres et avales les mouches, que deviendront les gobelets ?
Si un jour les gobelets de café ne renversent plus nos idées, que deviendront nos rêves ?
Si un jour nos rêves gobent les désespoirs que deviendront nos nuits ?
Si un jour égale une nuit et une nuit égale la vie, à laquelle te soustrais-tu ?

mardi 25 février 2014

rendre compte #4




Rendons compte puisque ainsi nous l’avons décidé. Rendons-nous compte si nous voulons, le voulons-nous ? Deux phrases, deux textes, deux auteures et l’exploit pour Lou de mêler avec légèreté toutes les consignes du lundi.

Je fais le même rêve tous les lundis.
C’est l’heure de se rendre  au collège. Il fait encore nuit. Tout le monde va travailler à Marseille. Moi, je roule dans l’autre sens, aveuglée par la lumière des phares. Je pense aux 4eE que j’ai en S1 : après ça ira tout seul. Merde ! Déjà quelqu’un à la photocopieuse ? Non, c’est juste la lumière de la salle des profs. Après avoir fait mes photocopies, je jette un œil sur l’horloge : 8 heures. J’ai encore une dizaine de minutes pour corriger quelques copies. Trois mauvaises copies plus tard, il est 8 h 12. Tiens, la première sonnerie aurait dû retentir ! Quelque chose cloche (et c'est peut-être toi, me dis-je) ! Je me dirige vers ma salle. Personne dans les couloirs… Je retourne au parking, croise le concierge interloqué. Qu’est-ce que vous faites ici, madame Z. ? Il n’y a pas cours le dimanche !
Je retourne me coucher le sourire aux lèvres. Pure délectation. Luxe, calme et volupté.
C’est au soleil que je commence à douter.

Je fais le même rêve tous les lundis, ce rêve étrange et rafraîchissant dans lequel je suis un moineau, scintillant, batifolant dans la rosée. Lumineux, je virevolte, c’est l’été, ne soyons plus solitaires ! En un battement d’aile, je deviens une jeune femme vêtue d’une petite robe légère. Là, de façon tout à fait surprenante et incohérente, ma robe s’use et je descends d’un car en face duquel m’attend un homme, bouche entrouverte. Non, l’image change, il s’agit plutôt d’un monstre, qui m’effraie, devant un hôpital. Ce qui me surprend le plus dans ce songe c’est le bonheur qui s’en dégage car très vite la lumière réapparaît. L’odeur des vergers, elle, m’enivre alors que tu me rejoins après avoir passé l’aspirateur, le téléphone vibrant dans la poche arrière de ton jean, me tendant un café pour m’inviter à voyager : « aimer à loisir, aimer à sa faim » dis-tu, et même, aimer les dimanches en famille. Très curieuse cette rêverie de début de semaine mais c’est comme ça chez moi ! Ici et pas ailleurs ! Et toi, tu veux aller où ? Enfin, tu vois un rêve singulier, une sorte d’atelier d’écriture sur le sable chaud. C’est au soleil que j’ai commencé à douter.
                                                                                             Lou Légé



vendredi 21 février 2014

rendre compte #3




rendre compte #3


Je descends du car, je porte une robe de soie usée presque transparente.

Le soleil m’éblouit, heureusement. Je ne vois pas les yeux des hommes. Des hommes du sud dans le soleil du sud. Marseille. On ne peut pas aller plus dans le sud. Sinon par la mer.

Je t’écris à toi qui es au nord de tout, pour que ces mots te portent cette image de moi dans le sud. Ne me perds pas dans tes yeux. Tu me vois dans la foule descendant les cent neuf marches – je les ai comptées -  du grand escalier de la gare Saint-Charles. Maintenant je suis au niveau de la statue des colonies en Asie. Je porte la robe rouge, celle-là même que… tu sais. Les papiers, je vais les avoir. Je te promets. Tu es mon point cardinal. Je ne peux te perdre. En attendant voici l’image…

Je descends du car, je porte une robe de soie usée presque transparente.


C’est une mauvaise idée de rendre compte. Rendre compte ou rendre des comptes ? Peut-être même rendre gorge. Certains diront que c’est exagéré, cependant… Le principe de réalité a cruellement rappelé son existence le jeudi avec la reprise des cours au collège.

D’abord, parce qu’après ces deux jours féconds, il y en a eu un troisième ; le mercredi, exceptionnellement, on n’a pas travaillé (un forum des métiers pour les 4e et les 3e qui tombait à pic) et le pli étant pris, on a répondu au besoin d’écrire le matin, de rendre compte, de retravailler quelques bidules pour en faire des textes. Ensuite, ayant noué des liens, on a eu du mal à se quitter le mardi soir. Pour la mise en commun et le partage des expériences des deux groupes, on sentait la gêne à transmettre de part et d’autre. Deux groupes bien distincts avaient partagé des choses précieuses, de l’intime et rechignaient à livrer les secrets de l’atelier à l’autre groupe. Les deux auteurs ont livré quelques propositions d’écriture mais personne n’a voulu lire. Pas d’hostilité, mais une certaine pudeur flottait dans l’air.

Rendre compte c’est donc un peu trahir son groupe. Et surtout, on a payé cher ces moments privilégiés de silence, d’écriture et d’écoute. Revenir au collège et retrouver les élèves survoltés, exprimer leur angoisse devant la copie – sur le coup, on avait trouvé malin de prévoir une évaluation dans chacune des classes pour avoir la paix, très mauvaise idée là encore – de manière bruyante et agressive.

Alors, on continue encore un peu parce que ce sont bientôt les vacances et qu’on a promis. On a le texte aussi de celle qui se fait appeler Lou Légé, qu’on trouve très beau et on s’en tiendra là pour l’instant. (Merci à elle)

Je descends du car. Je porte une robe de soie usée, presque transparente. Il se dresse là, devant moi, haut et puissant, semblant me toiser, comme pour m’épingler. Et bien te voilà ! Bientôt, je m’aventurerai dans les méandres de ce monstre qui m’offre sa gueule entrouverte. Fébrile, j’avance à pas traînants portant vers lui le fardeau de la peur et de l’incompréhension qui ne me quitteront plus. Plus tard, j’apprendrai à vivre avec la culpabilité, celle qui, sournoise, vous grignote miette à miette. Allez, approche ! Il est trop tard de toutes façons : chaque seconde passe et t’éloigne de cette sombre nuit, sous les étoiles, où tu l’as laissé te prendre. Rappelle-toi que tu l’as voulu ! Plus que quelques mètres. Je me fige devant les portes automatiques, en une seconde cette bête, l’hôpital, m’avale, frêle et effrayée.
                                                                                             Lou Légé



jeudi 20 février 2014

rendre compte #2


Rendre compte #2



Deux auteurs et trente profs - ici élèves – qui viennent écrire pour eux, pour se nourrir, pour partager, pour nourrir de nouveau leurs élèves. Deux groupes. Nous optons pour Ahmed Kalouaz, sa rondeur, son verbe et ses mains qui dansent, son sourire. D’emblée, nous parlons du projet « Lettre à soi l’être à l’autre » et de la thématique retenue cette année « mon école, mon quartier, mon village (ou ma ville) » pour nos élèves. Et Kalouaz de lire un premier extrait, sur une ville sans attrait, Le Creusot, que Christian Bobin décrit comme « la ville la plus moche du monde » dans Prisonnier au berceau. Première consigne : sortir sa carte bleue… Désorientés, gênés, goguenards, nous nous regardons. Nous voilà rassurés : il s’agit de tracer le contour de la carte (pour les élèves, une carte cantine fait l’affaire) pour restreindre la surface d’écriture… La première proposition : une phrase tirée au hasard du récit de Bobin : J’ai été moineau…

J’ai été moineau – petit moine à porter l’évangile 
et les psaumes du petit matin – à sillonner le ciel 
quand il n’est pas encore levé – moineau à becqueter
 les matins mauves et gris – moineau à moinelle – 
maintenant c’est fini tout ça… moineau, c’était le
 bon temps…




La deuxième consigne : tracer le contour de la carte à la verticale et une proposition encore tirée de Bobin : « L’été on met les solitaires… »


(texte non retravaillé)

L’été on met les solitaires dans des cases ; 
dans ces cases, il y a des livres qui rayonnent 
et dans ces rayons, il y a d’autres solitaires 
qui écrivent des histoires de solitaires en hiver 
et ces histoires commencent souvent par : 
L’été on met les solitaires… 
et cette phrase fait sortir des cases.




Et puis vient le temps de la lecture ; certains plus réticents, prennent des précautions oratoires – que Kalouaz balaie d’un trait d’humour ou d’une anecdote  ; il précise qu’on a droit à un joker, mais un seul pour ne pas lire ; l’une d’entre nous a toujours ce petit froncement de sourcil avant de commencer à lire ; une autre a une voix chaude et vibrante comme une corde de violoncelle ; tout le monde se plie au jeu et l’on apprend petit à petit à se connaître. La matinée avance vers le mitan du jour en même temps que la gêne s’estompe. Et puis il y a les pauses café de ce drôle de lieu. Un ancien hôtel délabré, qui abrite le CRDP et la Cinémathèque de Marseille. L’hôtel a abrité des officiers allemands pendant la guerre – des choses  pas bien belles ont eu lieu ici ; une ombre passe avec la pause. 

La consigne est une phrase de départ tirée d’une nouvelle de Raymond Carver, Les Feux : « Il était en train de passer l’aspirateur lorsque le téléphone sonna » ; il s’agit d’intégrer dans un texte court quelque chose qui s’est passé pendant la pause ou pendant l’atelier. Kalouaz vient de parler des lycéens ou collégiens qui lui posent souvent la question de l’origine de son inspiration, qui, comme nous le savons, n’existe pas. Il s’agit seulement d’observation et d’attention – dans la durée on peut attraper quelque chose.

Il était en train de passer l’aspirateur lorsque le téléphone sonna. C’était un homme avec un accent germanique très prononcé qui voulait parler au propriétaire pour une histoire de fiente – des pigeons polluaient son balcon. Il avait vite éconduit l’importun. C’est alors qu’il avait repensé à cet ancien hôtel, boulevard d’Athènes, à Marseille. L. avait évoqué des atrocités et des tortures exercées sur des résistants pendant la 2e Guerre Mondiale. Et ce souvenir s’était télescopé à celui du moineau avalé par le chat… Bien après le coup de téléphone, il y repensait encore !

(Dorénavant, je n’énoncerai plus toutes les consignes ; je vais juste retranscrire ici quelques textes, les miens et ceux de mes collègues qui ont bien voulu m’en confier pour les publier ici.)