mercredi 30 avril 2014

histoire trouée





Méfiez-vous des trous. Pas des trous de verdure ou des trous noirs. Non, les trous tout court Certains sont fourbes. Je suis bien placé pour le savoir car je suis formateur de trous. Je forme les trous en rase campagne, les trous de mémoire, les trous de gruyère, les trous dans les chaussettes, bref toutes sortes de trous. On me paie pour ça. Heureusement car je suis un vrai panier percé et je ne sais pas réparer les trous dans mes poches. Quand mes trous sont en stage, j'installe des panneaux  triangulaires jaunes sur les petites routes de campagne "Formation de trous".

Quelle ironie du sort! Je suis maintenant au fond du gouffre. Le gouffre n'est pas un trou qui aurait réussi mais l'effondrement de toute tentative d'élévation. Les hommes nomment fondations ce qu'ils creusent sous leurs maisons. Invisible, insaisissable, plus troué que mes trous, on me cherche partout. On me confond parfois avec le blanc ou un ange qui passe. Derrière l'apostrophe de l'    , par exemple, c'est un blanc, pas un trou. En revanche, dans un texte dit à trous pour les élèves, se cachent souvent des pièges.

Ne tombez pas dans les trous mais ne les comblez pas non plus. Laissez les vivre leur vie de trou. Jusqu'au bout. Je suis peut-être au fond mais j'ai encore ma dignité. Au fond du puits, on ne trouve pas forcément la vérité. Au fond du trou il y a souvent mieux: une histoire à inventer?


lundi 21 avril 2014

se lever avec un moi haïssable


Ce texte aurait pu entrer dans la série Conjuguer sa vie publiée sur le blog des Cosaques des frontières mais finalement non, je ne sais pas pourquoi...

Photo de Philippe MARC, Aix-en-Provence (Rencontres du 9e art, le 13/04/2014)



Se lever avec un moi haïssable, un moi trop gros, qui vous gêne aux entournures. Un moi contre lequel on se cogne d'emblée. Un moi qui réclame sa dose qu'on n'a pas envie de lui accorder. Un moi qui ne se tait pas. Un moi qui continue à s'agiter et tourner en rond dans votre ronde tête. On a le tournis alors qu'on ne tourne pas. Alors... se recoucher.

Se pelotonner dans les nuages, reprendre le cours de son rêve. Un rêve de nuit bleue sans étoile. Dans ce rêve très vieux, on retrouve un âge d'or. Un ange dort. Un enfant qui nage au monde. Ce monde s'agite, fait des vagues, rejette le génie précoce et solaire - on le maudit poète - alors il demande à conduire le char du soleil. Se lever comme un astre avant le désastre.

Se lever avec un moi haïssable, lui tordre le cou. Deux ou trois spasmes plus tard, repartir de bon pied. Arpenter la belle journée. Briller. Le monde tourne autour de nous, et alors? Il est beau parfois. Encenser le monde, le voir briller. Mais le plus souvent...  Un jeune père oublie de nourrir son fils de deux ans parce qu'il joue à vivre sur d'autres mondes, des mondes plus beaux et plus virtuels, où tout est possible. Où perdre une vie n'est pas grave. Ne pas jeter la pierre au parricide. Phaëton aussi est mort. Après l'avoir encensé, insenser le monde.

Se lever avec un moi haïssable de n'être pas le soleil. Ne pas voir le monde tourner autour de soi et s'étonner de ne pas en souffrir.