lundi 30 juin 2014

maison bleue

photo Philippe Marc (merci)


- Pour finir, t'es contente ou pas? C'est bien pour toi d'avoir un poste fixe? me demanda-t-il en haussant la voix - les musiciens attaquaient un tonitruant C'est une maison bleue, adossée à la colline... Je tournai les yeux vers la chanteuse tout en vérifiant du bout de la langue qu'aucun bout de salade ne se soit incrusté entre les dents.
- Je ne sais pas, c'est la fin d'une période...
- Et le début d'une autre, sûr, mais comment tu le ressens? Il saisit son verre, avala une gorgée, et grimaça en faisant claquer d'un coup sec la langue contre le palais.
- Il n'est pas bon? Pourtant c'est du vin bio.
- Comme quoi...
- Le blanc est bon. Tu veux goûter? J'attrapai la carafe mais il refusa d'un geste. Je ne savais pas répondre à sa question. À plus de cinquante balais, la vie offrait encore de ces surprises. Pourtant j'avais presque pris la décision de quitter ce boulot. Ceux qui vivent là ont jeté la clé... La porte ouverte à la rêverie nostalgique, je me retrouvais à l'époque où il y avait toujours un garçon avec une guitare pour jouer du Maxime Leforestier, où l'on rêvait d'une Californie de rêve... Et d'un coup, tous ces rêves vous apparaissaient comme la partie la plus vraie de votre vie.  Et lui qui me posait une vraie question et à laquelle je ne savais pas répondre.
- ... ça ne nous rajeunit pas tout ça. Ils commencent à me gonfler, eux. On aimerait manger tranquilles. Sa voix avait monté crescendo sans pour autant couvrir celle de la chanteuse et la guitare amplifiées par les micros. Je lui souris. ... si San Francisco s'effondre...
- Je reprendrai bien un peu de salade de fruits, et toi? Profite, c'est buffet à volonté ici!
- Ce que t'es gourmande!


Ce texte bref pour répondre à la proposition 1 de l'atelier d'écriture été 2014 de François Bon sur le Tiers Livre.



vendredi 27 juin 2014

la sans-pareille



La sans-pareille

photo Philippe MARC (merci!)


Mise en garde

Avant la première utilisation: lire la notice dans son intégralité et la conserver.
Cette sans-pareille n'est pas un jouet et ne doit pas être laissée à la portée des enfants.
Ne pas exposer à la chaleur, aux rayons du soleil ni aux températures extrêmes (très chaudes ou très froides).
Ne pas utiliser la sans-pareille avec des mains humides, ni dans un environnement humide (salle de bain, etc.) pour éviter tout choc électrique.
Si la sans-pareille est endommagée, celle-ci doit être éliminée ou réparée par un technicien qualifié.
Ne jamais ouvrir la sans-pareille.
Ne pas introduire de corps étranger dans la sans-pareille.
Ne pas allumer et éteindre la sans-pareille de manière répétitive pour préserver la durée des piles de la sans-pareille.

Mode d'emploi:

Au dos de la sans-pareille, ôter la languette transparente de protection des piles.
Sur le côté latéral droit, appuyer sur "open"
La sans-pareille se déplie puis s'allume automatiquement.
Utiliser la sans-pareille posée ou clipée.
Après utilisation, replier manuellement délicatement en sens inverse de son déploiement la sans-pareille jusqu'à entendre un "clic".


Poésie des notices et des précautions d'usage.... J'ai juste remplacé les groupes de mot Lampe de lecture et l'appareil par la sans-pareille.


mercredi 4 juin 2014

comme par hasard #5

Photo Philippe Marc (merci ;))


Mercredi 28 mai. Epreuve histoire des arts au brevet. Une épreuve pour ces tout jeunes candidats au brevet, souvent le premier oral de leur vie. Difficile de ne pas lire ses notes, de dire autre chose que du prémâché et/ou mal digéré, difficile pour eux de dire dans un langage adapté les choses personnelles que le jury aimerait entendre. Difficile pour le jury de faire de la joie avec cette journée rattrapage du pont Ascension, difficile pour le jury de ne pas s'attendre au pire avec la vingtaine d'élèves de troisième - qu'on ne connaît pas - présentant tous plus ou moins les mêmes listes. Les élèves avaient pourtant la possibilité de choisir deux oeuvres libres sur les 5 à présenter.

 "L'Affiche rouge" + "Strophes pour se souvenir" d'Aragon : 5
"Guernica" de Picasso : 4
"Le déserteur" de Vian: 3
Préface de "Si c'est un homme" de Primo Levi: 2
"La rose et le réséda" d' Aragon
Tardi "C'était la guerre des tranchées"
Doisneau: "Paris sous l'occupation" ou "Amours et barbelés"
Les autoportraits de Bacon et de Van Gogh...

Nos candidats se sont plutôt bien préparés et la tenue des exposés est une bonne surprise mais en fin d'après-midi, nous commençons à sentir la lassitude. La salle de classe est froide. Nous avons tiré les rideaux car de nombreux élèves utilisent le rétroprojecteur pour projeter un diaporama. Il nous reste encore deux candidats.

Enfin, elle se présente devant nous. Pour changer un peu de "Guernica" ou de "L'affiche rouge" et nous faire plaisir, nous avons au préalable choisi "Femme noire" de Chants d'ombre de Senghor, seule occurrence parmi les listes. Elle commence à lire à voix haute. C'est une liseuse de lumière. Elle lit le poème avec sa peau, ses yeux, sa bouche: elle lit en ruisselant de la lumière. Vraiment. Ce n'est pas une métaphore. Une vraie lumière chaude et ambrée. Que je vois de mes propres yeux, avec ma peau et mon sourire. Elle est la Femme noire du poème. Toutes les femmes du poème, même les plus âgées. Elle est Senghor. Elle est langue libre et décolonisée. Elle est la liseuse de lumière.


La liseuse de lumière n'est encore qu'une jeune fille souriante qui a compris toutes les femmes libres de ce poème et tout de la lumière de l'Afrique et tout du rythme et du phrasé du poème. Après la lecture, elle commente. De manière respectable et classique. Heureusement, subsiste encore la lumière de sa voix. On voudrait la retenir pour notre dernière "Affiche rouge".


lundi 2 juin 2014

comme par hasard #4

photo prise aux "Sons du Lub" à Beaumont de Pertuis, vendredi dernier



Aujourd'hui ça ne marche pas. Ou alors peut-être en allant plus haut dans la journée. Presque le soir. Le mistral n'avait pas permis encore une fois qu'on le fasse à l'extérieur. De beaux nuages sombres filaient à toute vitesse. Peigner l'arc-en-ciel. Se concentrer.

Aujourd'hui je n'ai pas marché. Il y a sept jours j'avais marché une petite heure en sortant du collège. Impossible de me souvenir de l'après-midi après la marche. J'ai dû jouer - je joue beaucoup à des jeux idiots en ce moment - ou regarder le ciel. Tendre le bras gauche, paume de main ouverte vers le ciel, pouce droit au centre de la paume.


Aujourd'hui ça ne marche pas. Il avait la forme d'un shamisen et c'aurait pu être un nuage mais ce n'était qu'un enfant. Et un enfant en forme de shamisen, on n'y croit pas une seconde. On n'y croirait pas à cet enfant. On se contenterait de tendre le bras gauche, paume vers le ciel, le pouce droit perpendiculaire à l'index, les autres doigts serrés. La main droite commencerait à s'élever. Le regard à balayer l'horizon à l'horizontale à 180°. Et le bras s'élever, capter l'énergie du ciel puis celle de la terre. Peigner l'arc-en-ciel. Oui, on se souvenait de ça. De ça seulement.


dimanche 1 juin 2014

comme par hasard #3

photo Philippe Marc (remercié encore un fois)


Dimanche me met en difficulté. Nul souvenir saillant. Un long dimanche de correction entrecoupé d'un bulletin dans l'urne et d'une balade diurne.

Dimanche sous la pergola, jasmin bourdonnant. Pochettes de copies sur la table. Stylos rouges chargés. Questionnaire de lecture sur Moonflet de J.  Meade Falkner. Nombreux élèves ne l'ont pas lu. Découragement. Biffer, baver, batailler du stylo. Avant la séquence sur le récit d'aventures, on a voyagé trois semaines en poésie. Difficulté à corriger leur aventure en poésie.

Trois textes, trois exercices. Le premier sur le modèle d'"Iles" de Cendrars. Anaphore sur un lieu inconnu mais réel (pointé au hasard sur un planisphère) et moyen de transport demandés. Un peu trop de "rêve" et de "magie". Quelques belles surprises sur les haïkus (bizarrement les bons élèves ont plus de mal sur cet exercice). 5/7/5 au début on compte encore les syllabes. Pour le dernier, définition de la poésie avec premier vers et dernier vers imposés: "La poésie c'est voyager en mots et merveilles" et "ce sont mots qui voyagent..."

Quelques vers des 5E:

La poésie c'est écrire ce qu'on n'arrive pas à dire
C'est un travail long et difficile
La poésie est gratuite
La poésie c'est le droit d'être libre
La poésie c'est me délivrer avec des mots
La poésie danse sur les feuilles
La poésie vend du rêve
La poésie c'est un risque insensé
La poésie c'est le va-et-vient de vers infinis
La poésie là où personne ne peut te juger
La poésie c'est une chanson pas comme les autres
La poésie c'est renaître encore une fois
La poésie m'emmène très loin
La poésie ce sont des mots qui me parlent
La poésie c'est ce qu'il y a au fond de moi
Un océan de mots dans lequel je me baigne
La poésie n'a pas d'âge
Au fond ça ne sert à rien mais ça rend la vie plus belle
La poésie est un art à part entière
La poésie c'est aussi vieux qu'aimer...


Soudain un grand sourire dans mon ventre. Ils ont pris la poésie dans leurs bras. Par les soirs bleus d'été... l'amour infini leur montera dans l'âme...