jeudi 14 mai 2015

plumes noires sur cou blanc













Ce sont plumes noires coulant sur un cou blanc. Ne sais à quel oiseau appartenaient les plumes. Ne sais à quelle tête appartient le cou. Ne saurais donc poser un nom sur cette tête. L’image depuis quelques jours m’obsède. Elle n’est pas issue d’un rêve. J’ai vraiment vu, mes yeux se sont attardés sur cette image pendant que j’étais traversée de noires pensées : la mort de l’ami, l’amer regret de n’avoir pas appelé de n’être pas passée les voir avant, le mur, définitif.


De ses boucles d’oreille pendent des plumes de corneille sur la peau laiteuse de la jeune fille. Je ne peux détacher mes yeux de ces plumes. En vain, je cherche l’origine de cette image. Est-ce à la fête de la Manivelle ? Je repasse mentalement les nouvelles têtes rencontrées à cette occasion mais aucune ne porte plumes noires aux oreilles. Quand le cou pivote, les plumes se soulèvent gracieusement, puis reviennent en place, prisonnières de l’anneau doré (argenté ?), on dirait un poème.

Autre plume, jaune, celle-ci, dans une histoire – c’est écrit « roman » sur la première de couverture pourtant on dirait des « nouvelles », seul l’oiseau jaune – une perruche callopsitte – fait le lien entre toutes les différents personnages… donc, dans cette histoire, la dernière surtout – enfin celle que je viens de lire- il y a un oiseau qui semble choisir ses têtes et les épaules pour se percher et notamment celle d’une femme peintre qui va bientôt mourir. Pas de plumes noires mais des plumes en lien avec la mort. Ce n’est pas une mort triste. Bizarrement. La mort de ce personnage n’est pas triste car elle a le temps de transmettre à ses proches tout ce à quoi elle tient. Il y a cette phrase très belle aussi : Jusqu’à sa mort, elle n’avait pas renoncé à vivre.[1]

Ce sont plumes noires poussant cris d’orfraie. Non. Ce sont plumes d’oiseau mort. Seule la mort effraie, rapace aux ongles noirs. C’est la seule chose vraie. Plumes noires ne poussant aucun cri, ne poussant qu’un silence un peu trop éternel. Ça me revient d’un coup : la jeune coiffeuse qui m’a coupé les cheveux portait ces boucles d’oreille aux plumes noires. Au moins quatre ou cinq à chaque oreille. Et pas des petites. On ne voyait que ça. J’avais décidé d’être présentable pour la visite à l’ami qui venait de mourir. C’est idiot, je sais, je ne fais pas autant d’efforts pour les vivants. Ces plumes noires coulant sur son cou blanc, gracile, comme l’exemple type d’un oxymore. Le temps d’un battement de cil, le cou de cette jeune fille balayé par les plumes noires vaut un poème de Ronsard.



[1] OGAWA Ito, Le ruban, Roman traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako, éditions Philippe Picquier, 2014.

lundi 4 mai 2015

ton sourire, ton café, l'été






Pourquoi le besoin de m’adresser à toi comme si tu étais encore vivant ? Est-ce pour faire durer l’illusion ? Pour ceux qui restent ? (ta compagne – mon amie -, tes enfants – le meilleur ami de mon fils et sa sœur qui aura vingt ans demain…) Ou pour moi ? Pour penser à toi d’une autre façon ? Pour concevoir l’inconcevable. Pour essayer de comprendre quelque chose à ce qui restera à jamais incompréhensible jusqu’à notre tour. La question du pourquoi paraît dérisoire face à ça. Hier, je chantais « aujourd’hui fête et demain le hasard » sans savoir que ça tomberait sur toi… Hier j’écrivais un texte sur une maison sans savoir que la tienne, la dernière s’appellerait tout simplement « la Maison ».

Ton fils, me disait le soulagement - presque le bonheur – que tu aies vécu tes dernières semaines, tes derniers jours dans ce lieu si différent de l’hôpital. Tandis que ton fils préparait du thé, chez toi, je repensais au café que tu me préparais toujours dans ces cafetières italiennes – tu en avais de toutes les tailles mais souvent la plus petite suffisait à nos deux tasses – les autres préférant d’autres breuvages. Le café que tu servais souvent dans des verres. Le thé de ton fils est délicieux. Mais ton café me manque, Lazhar. Ainsi que ton sourire.

Un vrai sourire avec les yeux, deux beaux éventails à chaque coin. Je ne venais jamais pour te voir, toi. Au mieux, je venais pour vous voir tous les deux. Mais c’était plus avec toi que je discutais bouquins, philo, ou musique. Ton sourire encore sur les photos – je m’entête à retrouver celle de notre sortie rafting sur l’Ubaye – avec les enfants encore petits, à la mer pour des pique-niques nocturnes, ou au lac d’Esparron. Pas de photos pour les rires quand on jouait à la contrée au camping, les enfants ne dormaient pas de toute façon. Nous les filles, faisions toujours semblant de ne plus savoir les règles.  Les images se succèdent, tu as toujours le sourire. Ton sourire et l’été. Tu restes lié à cette saison. Le sourire et l’insouciance de l’été. C’est l’été que je te voyais le plus. Je le regrette maintenant, mais la dernière fois que je t’ai vu, c’était en août dernier. Tu avais l’air si gai, si fort, je pensais que l’on aurait largement le temps, large-ment. Que la maladie te laisserait du temps. Que tu la désarmerais de ton sourire bienveillant. Que tu lui offrirais un café et commencerais à discuter avec elle. Du coup elle oublierait ce qu’elle était venue faire, mais non.


Triste mois de mai qui commence.