dimanche 22 janvier 2017

Notes sur le rêve




Notes prises le 21/01 au musée Cantini[1]



À l’étage, devant « Femme Oiseau I » de Miró, lisant Leiris[2] sur un banc: Une toile, pour Miró, n’est pas chose à orner un mur ; c’est elle-même, plutôt, qui est le mur qu’on orne, qu’on transforme en quelque chose de vivant… Soudain, hurlement rouge hurlant: « Monsieur, retenez votre enfant, enfin ! Il a mis le doigt dessus, le doigt dessus ! » Le petit vivant va se réfugiant dans bras du père rougissant, bredouillant je ne sais quoi mais pas suffisant pour la gardienne : « Monsieur, c’est un Miro ! Si vous voulez payer toute votre vie…  Une jeune femme : Madame, excusez-moi mais pourquoi criez-vous ? Respectez les gens. La gardienne : C’est à moi que vous parlez de respect ?» Invectives, déplacements, replis dans les salles adjacentes.  Délectation première loge –lignes de Leiris, toile du peintre catalan, tableau vivant –  ici à ce moment-là.

Rien à expliquer quant à cette peinture qui elle-même n’explique rien.

Si Miró n’oublie jamais que la peinture est avant tout affaire de lignes et de couleurs, son art, pourtant, n’a rien d’abstrait lors même qu’il est peu lisible.




[1] Exposition « Le Rêve » du 17 septembre 2016 au 22 janvier 2017 au Musée Cantini (Marseille) 
[2] Michel Leiris, « Autour de Joan Miró », Zébrage, Folio/essais 1992, p. 160

dimanche 1 janvier 2017

petit art poétique de la carte de voeux






1. Listez tous ceux qui comptent sur vos doigts, ceux pour lesquels vous souhaitez ce qu’il y a de mieux pour eux, ceux auxquels vous allez vous adresser – l’adresse étant ce qui compte le plus dans la carte de vœux…

2. Biffez dans cette liste les post post-poste-modernes qui, au mieux, souriraient, au pire, ricaneraient devant l’objet de cette pratique obsolète et désuète (réservez leur un courriel collectif)

3. Écrivez court (masquez votre graphomanie)

4. Trouvez la formule (« petite forme ») en évitant la citation d’un autre que moi et en particularisant le destinataire.

5. Brouillonnez, brouillonnez, biffez autant que possible en particulier les adjectifs (voir article n°3)

6. Trouvez un stylo qui ne bave pas et recopiez en soignant la calligraphie sur une carte (de préférence fabriquée par vous-même)

7. En dernier recours – si les idées ne vous viennent pas – concentrez vos efforts sur la confection d’une carte originale, puis recopiez-y ce texte.

8. Embrassez qui vous voudrez (en plus du destinataire) autant que vous voudrez 

9. Signez (pensez à garder de la place)

10. Un Post Scriptum (P.S.) plus long que le texte lui-même peut être un substitut original à toutes ces règles – par exemple écrire :

Très bonne année 2017 !

P.S. pas dansé hier soir, pas réveillonné, pas même rêvé. Soirée ni triste ni maussade ni gaie. Une coupe de champagne et au lit avec 2666[1]. Ce matin, en revanche, grande envie de voir se lever le soleil sur la mer. Vérifiant l’heure de son lever, je me suis vite préparée, j’ai attrapé la laisse du chien – Ulysse n’ayant jamais vu la mer – et suis partie vers la première plage de la côte bleue.
Lambeaux encore gris du pas encore jour. Nuages et autoroute déserte. Un flash m’a rappelé un peu tard de réduire ma vitesse. Me suis dit que mon rendez-vous avec le soleil et la mer pouvait bénéficier d’un petit retard. Sortie à Ensues-la-Redonne, plage du Rouet.



Les grands arbres calcinés tragiques m’ont fait douter un moment de mon choix. Mais non. En descendant jusqu’à la mer, l’ombre semblait gagner en même temps que la beauté tragique de ces arbres morts debout. Tout change au bord de la mer. D’abord la lumière, et quelque chose de léger et de dansant. L’air bien sûr. Ulysse s’en donne à coeur joie. Quelques mouettes. Je songe un instant à écrire in situ mais je préfère prendre des photos. Le soleil se lève bien et colorie les façades sur la colline. Se diriger vers l’est, prendre la voie privée « Chemin des eaux salées », noter mentalement (pour l’atelier de F.Bon) les inscriptions « les Dauphins », « la Magali », Villa piégée, chien méchant, pas de pub svp, emprunter l’escalier escarpé de la chapelle N-D du Rouet. Voir le soleil descendre de son nuage sur la mer. Silence. Silence. Puis des voix, des jeunes qui ont eu la même idée que moi. Photos. Partage avec proches plus ou moins loin.



Retour avec comme une envie d’écrire. Écoute distraite de France Culture. Et puis de moins en moins distraite. Émission sur la danse avec l’invité Daniel Sibony[2]. Il dit : « Danser, c’est célébrer l’existence d’une issue, d’un passage ». Je pense à Françoise et à D. Il dit encore que danser ou chanter c’est « l’existence d’un passage possible, quitte à ce qu’on mette du temps à le trouver. » À la maison, je commence à confectionner quelques cartes de vœux, puis change d’avis, réécoute l’émission. Visionne surtout cette vidéo « Naharin’s Virus » dansée par la troupe Batsheva. Envie de danser ou d’écrire à ceux qui comptent…


Ce genre de PS est cependant à déconseiller, bien trop éloigné de l’exercice considéré. Après tout, faites comme vous le souhaitez… quant à moi je vous souhaite de danser, d’écrire, ou de vivre 2017 comme… une page vide à couvrir de poèmes, comme dans « Paterson » de Jim Jarmusch vu avant-hier. « Parfois, une page vide présente plus de possibilités… »[3]



Photos prises ce matin à Carry-le-Rouet, collage confectionné hier...





[1] Roberto Bolano, 2666, Folio
[2] Daniel Sibony, Le Corps et sa danse, Seuil, 2005.
[3] Merci à Pierre Ménard pour le rappel de la réplique exacte.