Toute la journée tendrait vers ce milieu de la nuit, ce
moment dont on ne saurait s’il appartenait à hier ou à demain, à l’an passé ou
l’an prochain. Ce jour-là on célèbrerait. Pourtant, minuit ne pourrait être considéré comme le climax ou
point culminant dans la progression de la journée, ni d’ailleurs de
l’année ; au contraire, au mieux ce serait un moment dans la nuit passant
inaperçu au pire au milieu de la danse, au milieu d’une discussion nostalgique
où refaire le monde ne portait pas alors le nom d’utopie. Quoi qu’il en soit,
il y aurait forcément l’inévitable compte à rebours, les embrassades à droite à
gauche sur les deux joues, les vœux échangés et le tout ne prendrait que deux
ou trois minutes et l’on reprendrait le cours de la nuit. De la fête. Si elle
était réussie, nouvelle année ou pas, la joie, l’ivresse, la danse ou l’oubli
de tout ce qui rend triste monterait en puissance. La nuit continuerait, se
fatiguerait et le teint blafard finirait par aller se coucher au petit jour.
On pourrait le dire comme ça. Ou autrement.
Toute la journée avait tendu vers ce milieu de la nuit, ce
moment dont on n’avait jamais su son appartenance : appartenait-il à la
veille ou au lendemain, à la vieille année pas tout à fait écoulée ou à la
nouvelle, frémissante, trépignant d’impatience avant son entrée dans le bal. Ce
jour-là on avait célébré. Quoi au juste ? Était-ce un enterrement ou une
naissance ? Minuit n’avait pas été le climax de la fête. Quand le compte à
rebours avait commencé, elle dansait dans l’oubli du temps, apparemment les
yeux ouverts. Mais on n’était sûr de rien, la lumière moins forte que la
musique (Baschung, Osez Joséphine)
presque pénombre, 5, 4, 3…
Évidemment, on n’était
sûr de rien. On arrive toujours
au moment où. On suspendait un moment qui n’avait pas encore eu lieu. Aurait-il
lieu ? Le mieux ne serait-il pas de tout recommencer ? Au présent,
peut-être.
Quelle heure est-il ? Midi passé déjà. On n’a rien
préparé. Rien à se mettre. Il faut être méthodique. Trouver une tenue dans laquelle
on ne soit pas trop ridicule avant d’aller acheter le gâteau et la bouteille de
champagne pour nos hôtes. Est-on sûr de vouloir y aller ? Oui, il y a des
amis qu’on n’a pas vus depuis longtemps et qu’on a envie de revoir. Il y a l’envie
de danser comme avant. Mais, aussi d’écrire. Les doigts dansent d’impatience.
On a justement un truc en cours, qui ne demande qu’à avancer. Oui mais on a
promis de venir cette fois-ci. Beaucoup de mais, peu de présent. Vous savez
quoi ? On remet ça à demain.