Photo Philippe Marc |
Je m'essaie à mon tour à un
exercice de rétrospection après avoir lu hier, dans la même journée, comme par
hasard, la proposition d'écriture de François Bon à partir du Journal de Kafka
et une page du Don Juan de Peter
Handke:
Pour provoquer le
surgissement de ces aspérités du quotidien qui font image, on va proposer une
contrainte : prendre les sept derniers jours écoulés, et isoler de chaque
jour un de ces instants, parmi la profusion des souvenirs récents pour les
jours les plus proches, depuis l’effacement mémoriel pour les jours déjà plus
lointains. Se forcer à trouver, dans la répétition du quotidien, pour chacun
des sept derniers jours, une de ces aspérités qui font mémoire par l’image, et
ressenties comme un objet singulier.
[...]
Insister que chacun des 7
fragments qui va s’écrire va représenter un défi dont la règle n’appartiendra
qu’à lui seul : aller à la rencontre d’un souvenir survivant à mesure
qu’on s’enfonce dans le temps, et l’oubli même à 7 jours de distance, et – au
contraire – extraire du singulier depuis la profusion qui reste de la veille et
de l’avant-veille.
François Bon, atelier | écrire avec Kafka, trois
exercices (plus un), le tiers livre
Pour ce qui est de son récit
proprement dit, le soir de son arrivée à Port-Royal des champs, Don Juan le
commença, par le même jour de semaine, une semaine auparavant. Il était alors
encore à Tiflis, en Géorgie. Ce n'est pas l'histoire d'une vie entière qu'il me
servit là, ni même disons celle de l'année passée, mais uniquement celle des
tout derniers sept jours, et ainsi de même le lendemain, jour après jour. Ce
lundi-là, par exemple, ce fut le lundi de la semaine précédente qui lui revint
en mémoire, et de façon si incomparablement aiguë et façon tellement évidente
et amène, comme ce ne pouvait guère avoir été le cas pour le mardi passé ou
disons pour le lundi du mois précédent et ainsi de suite, à remonter la
mémoire.
"Lundi il y a une semaine" - et déjà les images arrivaient,
les images de la journée tout entière, non sollicitées - les images du jour
d'il y a juste sept jours se réveillaient, telles qu'elles ne s'étaient pas montrées
une semaine plus tôt, prenaient leur place, s'associaient, calmes sans le
tam-tam du souvenir convoqué exprès qui en devient sonore, et si c'était le
cas, alors au rythme d'une succession tranquille, sans emboîtements, grandes et
petites choses, équivalentes. Plus rien de grand mais plus rien non plus de
petit.
Peter
HANDKE, Don Juan (raconté par lui-même),
trad. de l'allemand (Autriche) par Georges-Arthur Goldschmidt, éd. Gallimard,
2006, Folio 5743, pp. 37-38.
À la première lecture - Handke avant Bon - la coïncidence me
semblait évidente; après relecture des deux passages, c'est la divergence qui
me saute aux yeux: excepté la rétroacitvité des sept jours, il y a chez don
Juan, le libre flux du souvenir revenant de lui-même et son corollaire, une
succession d'images dont aucune n'émerge , alors que dans la proposition de
Bon, c'est le caractère délibéré d'extraire et de mettre en relief de la
journée d'il y a sept jours, un seul moment, une toute petite aspérité du réel ordinaire. Le fragment versus le récit fleuve. La succession
plate versus le relief sonore. Cependant,
dans les deux cas, sur le terrain du réel, le fantastique advient...
J'écris ce vendredi 30 mai (pont de l'Ascension)
Il y a sept jours: vendredi 23 mai, semaine B: 6F, 6E le matin,
5G, 5E, remédiation 6G, remédiation 6E. Journée sereine commençant: avec les 6E,
fin du film de Miyazaki "Le voyage de Chihiro" - "Commence par
apprendre à finir ce que tu as commencé" l'injonction de la sorcière Chubayaga
résonne encore dans ma tête. Soleil éblouissant sur le parking du collège.
Pomme et sandwich sur un autre parking de la Tour. Sortie du
collège, du bruit, des bavardages élèves et collègues. Recharge de paix, de
bleu, de silence. Recueil de Haïkus
de Sôseki dans le sac. Se préparer au pire: les 5G à 12h40. Le silence
impossible. Ne pas y penser, vraiment ne pas y penser, ne pas y penser. 5/7/5
syllabes. Fixer un moment évanescent.
Croquer la pomme et le bleu du ciel. Vol en arc de cercle
d'une tourterelle, immobilisation de l'oiseau à deux ou trois mètres au-dessus
de moi, sans l'aide d'aucun autre support que l'air bleu, et de battre des
ailes, et de roucouler, performance on ne peut plus performante. Envie d'applaudir.
Le spectacle ne m'était pas destiné: le tourtereau vole vers la tourterelle -
que je n'avais pas remarquée - sur un des arbres déplumés du parking. Tentatives
de pousser l'avantage, approches de plumes. Vol et éloignement de la
tourterelle sur un autre arbre.
Retour au collège. Vole dans les plumes des 5G refusant de sortir les leurs.
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