PIERRE CAILLOU
LE GRAND
Comment tu t’appelles ?
LA PETITE
Pierre.
LE GRAND
Tu es un garçon ?
LA PETITE
Non, une fille.
LE GRAND
Ce sont les garçons qui s’appellent Pierre.
LA PETITE
Non ! Pour un garçon, on dit caillou.
(Philippe
Dorin, En attendant le Petit Poucet,
p. 17)
les galets de la Durance ne dorment plus dans leur lit
Pierre
/ caillou
Petit Larousse. L’ouvrir.
Chercher « caillou ». Lire. Regarder les expressions dérivées. Pas un
poil sur le caillou. Chercher. Fouiller. Réfléchir.
Petit Larousse encore. Chercher
« pierre ». Expressions. Dur comme la pierre. Avoir un cœur de
pierre. Malheureux comme les pierres. Jeter la pierre à quelqu’un. Marquer un
jour d’une pierre blanche. Faire d’une pierre deux coups. Pierre qui roule
n’amasse pas mousse. Cohérent, tout ça.
Wikipédia. Les mots se
terminant en « ou » se terminent par « ous » au pluriel.
Sauf bijou, caillou, chou, genou, hibou, joujou, pou.
Wikipédia toujours.
Papier-caillou-ciseau. Chifoumi. Jeu de société appartenant au domaine public.
Format : deux mains ! Joueur(s) : 2. Mécanisme : choix
simultané, précision. Durée annoncée : 30 secondes. Habileté
physique : non. Réflexion, décision : oui. Générateur de
hasard : oui.
***
Mon
propriétaire. Il s’appelait Caillou. Monsieur Caillou, c’était son
nom. Il était vieux, Monsieur Caillou. Très. Et discret. Grand pourtant. De neige
coiffé. Souriant. Mais d’un sourire mince, s’excusant presque d’être là.
D’illuminer son visage. Doux. Discret donc. Et lumineux. Monsieur Caillou. Nous
habitions une petite maison de guingois en fond de cour. Tout au fond. Miteuse.
Artiste. C’est selon. Nous l’aimions. L’été, nous organisions des soirées. Dans
cette maison. La cour s’habillait alors de tapis, de tables basses, s’enfumait
singulièrement et résonnait de musique et de rires.
La journée aussi d’ailleurs.
Mais pas les mêmes. Le jour, ce sont des rires d’enfants. Balles tapées contre
notre galerie véranda bricolée. Bruit des pas sur le béton. La folle qui crie
dans la cour qu’elle a pas baisé depuis des décennies et qu’on est tous des
enculés. Attendre pour sortir de chez soi qu’elle ait décampé, frustrée de
n’avoir trouvé personne à emmerder. Faut dire. La discrétion, elle, c’est pas
son truc. Mais Monsieur Caillou. Lui. Il s’y connaît.
Parfois, ils viennent. Toujours
ensemble. Monsieur et Madame. Elle vide leur boîte aux lettres. Fait le tour
des locataires. Réparations. Paiements. Récriminations. Souvent contre la folle
du premier. Forcément. Pendant ce temps, Monsieur Caillou, il bricole. En fond
de cour. Tout près de notre maison. Une porte de garage à la perpendiculaire de
nos fenêtres. Ordinaire. Derrière, une caverne d’Ali Baba. Une pièce profonde,
quelques marches vers le bas, quelques marches vers le haut. Un vrai défi pour
l’orientation. Ma chatte aime bien s’y perdre. Des outils dans tous les coins. De
la poussière aussi. Mais une grande organisation. Monsieur Caillou s’y replie.
La porte entrebâillée signale sa présence. Quelques bruits métalliques de temps
en temps. Et, vers le soir, la porte qu’on verrouille. La voiture qui démarre.
Et puis un jour, il meurt. Sans
prévenir. Comme ça. Malade. Un peu. Quelques temps. Comme tout le monde. Et
puis plus personne. Esseulée, Madame. Vieillie d’un coup.
Et puis un jour, nous
déménageons.
Et puis un jour quelconque,
comment situer cela dans l’échelle du temps, je les oublie. Je passe à autre
chose. Je tourne la page.
Et pourtant, un jour, on me
parle à nouveau de Monsieur Caillou. Monsieur Caillou s’appelait Pierre.
L’information tombe. Comme ça. Pierre Caillou. C’était son nom. Comme souvent,
on n’imagine pas que les personnes qu’on côtoie tous les jours puissent nous
surprendre. Surtout pour quelque chose d’aussi palpable, d’aussi important que
leur nom. Et pourtant. Ce nom-là me surprend. Et le fait qu’on ait pu le lui
donner. Nous en discutons ensemble, nous qui ne le connaissions que si peu.
Nous émettons des hypothèses. Elles dansent dans ma tête. Se donnent la main. Dansent
la gigue. Et puis s’en vont. Rien. Juste un fait. Il s’appelait Pierre Caillou.
Pour l’école, il fut Caillou, Pierre. Présent ! dut-il répondre de longues
années. Enfin, c’est selon. La longueur des études.
Pierre Caillou. Un nom qui
plante un clou et le replante pour vérifier qu’il est bien planté.
Pierre Caillou. Un nom qui ne
pourrait aller plus mal à un homme visiblement si tendre.
Pierre Caillou. Un trait
d’humour peut-être. Certains parents ont cette fibre-là. Ou peut-être un poing
fiché dans la table. Une manière de défi à tous ceux qui se sont moqués du nom.
Du père. Alors lui, il dit, en dénommant son fils. Oui. Caillou. Et
alors ?
***
Recensement
des Pierre Caillou.
Pages Blanches.
Recherche : qui ? nom : Caillou ; prénom : Pierre /
où ? aucune localisation. Trouver. Résultats. Sur l’ensemble du territoire.
Trois Caillou, Pierre. Deux Cailloux, Pierre. Un Caillou, Jean-Pierre. Un
Caillou, P. Deux Cailloux, P. Départements où on trouve des Caillou,
Pierre : 06, 11, 33, 47, 50, 94.
Facebook. Champ recherche. Je
tape « Pierre Caillou ». Un Pierre Caillou illustrateur jeunesse.
Donc, cinq Pierre Caillou et un Pierre Cailloux. Un Pierre Le Caillou. En
termes statistiques, il n’est donc pas abusif de dire que les Pierre Caillou utilisent
plus Facebook que le téléphone fixe. Peut-être se servent-ils en priorité de
téléphones portables ? A vérifier. Sans extrapoler outre mesure, il semble
possible de dire que les Pierre Caillou seraient, culturellement parlant, assez
jeunes, au vu du nombre de profils Facebook détecté. En extrapolant carrément,
peut-être est-il possible de trouver une corrélation entre ces deux constats
chiffrés : peut-être que la propension parentale étrange à appeler son
enfant Pierre quand on s’appelle soi-même Caillou serait une tendance récente,
au vu de la jeunesse supposée des Pierre Caillou du web. Auquel cas une telle
tendance poserait une question psychogénéalogique d’importance : mais
qu’est-ce qui pousse, dans la société moderne, de jeunes parents à appeler leur
enfant Pierre quand ils s’appellent eux-mêmes Caillou ? On pourrait
évidemment recouper cette question avec une autre, bien connue mais finalement
peu étudiée, et certainement non élucidée : mais qu’est-ce qui pousse de
jeunes parents à appeler leur fille Mégane alors qu’ils s’appellent eux-mêmes
Renault ? Ce faisant, je me dis que je devrais aller consulter les profils
des Pierre Caillou. Pour vérifier. Leur âge. J’aime bien avoir raison. Vérification
faite, les Pierre Caillou ont visiblement quelques scrupules à fournir leurs
données biographiques, ce qui est tout à leur honneur numérique. Nous resterons
donc dans l’incertitude la plus totale. Et je ne pousserai pas le
perfectionnisme jusqu’à noter leur numéro de téléphone pour mener une enquête
qualitative en direct. Je tiens à la vie. Et le mystère a du bon. Donc restons-en
là.
Facebook toujours. Deux groupes
attirent mon attention. Le groupe « Moi, Je trouve que Pierre C’ est un
nom de Cailloux ». 36045 mentions J’aime. 567 personnes en parlent. La
tranche d’âge auprès de laquelle ce groupe est le plus populaire est la tranche
des 13-17 ans. Variante. « Moi, je trouve que Pierre, c’est un nom de
caillou ». 3508 mentions J’aime. 5 personnes en parlent. La tranche d’âge
auprès de laquelle ce groupe est le plus populaire est la tranche des 13-17
ans.
Twitter. Champ Recherche. Je tape
« Pierre Caillou ». Tweets du 27 février 2013. @Vera_Manoukian :
« je connais un mec qui s'appelle Pierre Caillou.... je me demande ce que
pensaient ses parents quand il est né ». @DBC_Skyrock : « Moi, je trouve que Pierre,
c'est un nom de caillou. » @TeamCreezy: « Pierre est pote avec
Caillou #TweetCommeUnDebile ». Chaque
jour que Twitter fait, il semble qu’il y ait des gens pour parler des pierres,
des cailloux, voire des Pierre Caillou.
***
Pierre Caillou. Un homme derrière le
nom. Un homme que je n’ai pas connu. Qui laissa une trace, à peine, à la
surface de ma conscience. Alors pourquoi. Pourquoi depuis quelques jours, ce
nom, ce visage, me hantent-ils. Que me disent-ils. A moi. De moi. Je pense
caillou. A tout hasard. Je cligne des yeux. Je les ferme au verrou. Je me
concentre en moi. Caillou. Des cailloux se dessinent le long d’un chemin. Ceux
du Petit. Poucet de son état. N’a pas d’nom, ce mioche-là. Intéressant. De
caillou en poucet, j’aboutis au néant. Une absence de nom. Une description pure
et simple. Poucet est petit. Petit est Poucet. Il n’a pas de nom. Juste la description
d’un attribut physique. Inessentiel de surcroît. Puisque l’histoire montrera
que son attribut réel, celui qui le définit, est l’intelligence. Appeler son
enfant Petit Poucet, finalement, relève de la même démarche que d’appeler son
enfant Pierre quand on s’appelle Caillou. Il y a cohérence. Volonté de
signification. Dans la redondance. Peut-être aussi se dit-on. Que cet enfant,
avec ce nom-là, saura se faire une place dans la vie. Dur comme un caillou.
Insensible. Mais peut-être aussi minéral. Ne prenant pas plus de place que son
enveloppe physique ne le requiert. Le tableau se noircit. Pierre Caillou, un
nom-tiroir. Pour ranger son enfant dedans. L’y oublier peut-être. Ne doit pas
rire souvent, le Pierre Caillou. Ou alors, au fond d’un garage. En bricolant.
Discrètement. Jusqu’à ce que. L’arme à gauche.
jeu du morpion aux galets
Poivert // Jessica Maisonneuve
(texte)
Christine Zottele (photographies et leurs légendes)
Chaque premier vendredi du mois, ont lieu les Vases Communicants; qui-veut invite sur son blog qui-veut et ces deux-là se mettent à écrire sur un thème, une consigne, une image... La première fut Poivert, la seconde proposa de prendre une photo le 13/02/2013 à 13h02 chacune de son côté et de l'envoyer à l'autre. Vous trouverez ma proposition chez Poivert. Brigitte Célérier - la remerciera-t-on jamais assez - patience et persévérance incarnées - dresse la table des convives et vous invite à consulter le menu ici.
heureuse de t'accueillir ici Jessica, merci encore pour cet échange... Reviens quand tu veux
RépondreSupprimerJe veux revenir, je veux revenir ! Zut, j'avais oublié, je ne suis disponible qu'à partir de... février 2014. Hum. Peut-être pourrions-nous convenir d'un nouveau rendez-vous l'an prochain ? (sans rire, très sérieusement)
RépondreSupprimerpetite contribution à l'histoire de Pierre Caillou : http://louisevs.blog.lemonde.fr/2011/10/04/rompures-et-ruptures-charleville-mezieres-33/
RépondreSupprimerPierre se lançait-il lui-même lorsqu'il jouait à la marelle avec Agathe Desroches dont il tomba follement amoureux mais qu'il n'épousa tout de même pas? J'ai consulté les registres de l'école primaire. On dit qu'il a garder sa photo dans son portefeuille toute sa vie. Je l'ai retrouvée pour toi http://farm4.staticflickr.com/3567/3677936539_2cd99fa457_z.jpg
RépondreSupprimerSuperbe ton texte, chère Poivert. Bravo! :)
L'histoire de Pierre Caillou m'échappe. Elle relèverait presque de la légende urbaine. Mais je l'ai écrite parce que j'en ai connu un. Vraiment. Pas pour de faux. Pas juste pour écrire un vaseco. Mais maintenant. Le Pierre Caillou. Il se dématérialise. Perd de sa substance. Devient l'affaire de tous. Presque un commun. Quelque chose qui a un sens pour une communauté. Il perd donc de sa substance, et la retrouve sous forme d'hypothèses. De Pierre Caillou possibles. Diachronie. Synchronie. Combien de Pierre Caillou respirent aujourd'hui de concert ? Combien au fil du temps ?
RépondreSupprimerJe suis touchée par votre compréhension de mes intentions. Ce texte était une invite à la rêverie, au partage. Vous l'avez entendue, et y répondez de la plus belle façon qui soit. En le prolongeant. En le réinventant. J'en suis très émue, et très fière.
Merci donc Louise Blau.
Merci donc Zéo Zigzags.