dimanche 16 novembre 2014

Black, souvenir baobabesque

Abdellaziz Abdi, dit "Black"


Il a vécu mon ami. Il nous a quittés. Il est parti.
Partir, partir un peu, partir beaucoup, partir toujours. Décéder. Mourir. S’éteindre. Passer. Trépasser. Rendre l’âme, mais à qui ? Calancher, caner, claboter, clamser – un peu plus de rythme et de couleur mais tout aussi menteurs ;  claquer, crever, cronir… Cronir, vraiment ?
Être emporté, être rappelé (par qui ? demandent ceux réduits à se le rappeler tel qu’il a été, non-mort, vivant, tellement vivant…), être ravi ( comme dans Le Ravissement de Lol V. Stein), toutes formes passives inacceptables !
Disparaître. Insupportable. Ne plus jamais. Ton sourire, ne plus jamais. Ta voix, ne plus jamais. Ton regard, ne plus jamais.
Je tente d’épuiser tous les verbes/adverbes et consorts de la mort mais c’est elle qui m’épuise, nous qui ne rêvions que de puiser.

Tu m’avais appelée il y a un mois et demi : était-ce pour me dire adieu, savais-tu ? Bien sûr que oui, avec ta sensibilité d’extra-lucide ! Absente, je m’en voudrais toujours de t’avoir manqué. J’essaie de me rappeler la dernière fois que je t’ai parlé au téléphone, la dernière fois que je t’ai vu. Puisons plutôt à d’autres souvenirs.

Beaumont, ta guitare en bandoulière, tes sourires toujours, tes petites amies toujours parmi les plus belles, tes yeux bienveillants toujours, la musique qui coulait de tes doigts avec l'évidence d'une source, quel que soit l’instrument, les discussions dans le train à en oublier la correspondance à Montsoult, les années festives, les années moins festives, toi et la meilleure de mes amies, votre fille, si belle de vous deux… Partie dans le sud, j’ai souvent de tes nouvelles, de tes soifs, de tes déserts… mais tu les traverses toujours, tu en viens à bout toujours. Tu m’appelles parfois avec ta voix grave et chaude : elle me soutient quand je me noie (dans un verre d’eau) : tu sais toujours me faire sourire.

La Normandie, plus tard à ce que nous croyions le mitan de nos vies, l’abbaye de Jumièges, Étretat, les arbres que tu aimais tant  - charme et hêtre à seins, ton premier arbre peint avec un mystérieux œil rouge sur le tronc – que tu m’avais offert– la petite bonne femme qui court, qui ne s’arrête pas c’est toi  tu m’avais dit… Cet adjectif que tu avais inventé baobabesque… Et les cimetières – marin à Varengeville-sur-Mer, parisien au père Lachaise (balade humour noir), natal (comment peut-on dire cimetière natal ? pourtant celui de notre ville de naissance ou presque) et les légendes, la dame blanche de Mortemer, les Sept Dormants d’Éphèse – cette légende commune aux chrétiens et aux musulmans, puisses-tu encore dessiner et jouer de la musique et te réveiller dans trois cent neuf ans.

Tu te verrais mort, tu en rirais.
Pas nous.

Et puis t’es mort tellement de fois, autant as-tu ressuscité.




1 commentaire:

  1. Je le retrouve bien là dans ton texte, et dans cette peinture aussi, c'est un très bel hommage pour lui et je suis sure qu'il l'a lu, par dessus ton épaule.... Pourquoi a-t-il fallu qu'il s'en aille...
    Esperluette

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