Vendredi après-midi, nous avons accompagné les élèves de
troisième au théâtre de Pertuis pour voir Antigona
par la compagnie « La Naïve ». Le matin-même, le metteur en scène
avait tenu à parler aux élèves. J’ai aimé son approche, quant au spectacle, j’ai
écrit ce qui suit dès le lendemain… Ce qui a provoqué l’écriture de « Mes
antigones » que je livrerai bientôt ici ou là …
Un chant espagnol (F.
Garcia Lorca) et un gant rouge au milieu du rideau (noir le rideau ?). Une
musique aux accents tragiques et rauques, une main gantée sensuelle caresse de
haut en bas le rideau encore fermé. Strip-tease du gant. La tragédie a déjà
commencé. D’emblée, on sait que c’est une nouvelle Antigone qui va nous être
donnée à lire. Une jambe surgit, suivie d’un corps pailleté de rouge paraît en
même temps que le rideau s’ouvre. Une femme – perruque blond platine – robe
fendue haut sur la cuisse droite, bras nus, rose rouge dans une main, épouse la
voix du chant. Quelque chose dérange mais on ne sait si ça vient du play-back
ou du corps de l’étrange créature. Large d’épaules, jambes fines, on hésite
entre le masculin et le féminin. Le masculin finit par l’emporter, mais le
travesti n’est pas une caricature. On est rassuré. Le chant s’interrompt, le
rideau s’ouvre sur un décor nu.
Une piste circulaire, une arène, du sable rouge. Tirésias,
car il s’agit du devin Tirésias, s’adresse à nous le public. Il casse
l’illusion théâtrale. Il nous explique que ce sera lui le coryphée. Un peu plus
tard, quand la tragédie sera finie, il racontera son histoire à la troisième
personne. Le Tirésias du mythe. Du jeune homme qui croise sur son chemin deux
serpents en train de copuler. De celui qu’il tue à coups de bâton. De sa
métamorphose en femme. Sept ans. De nouveau la même scène, mais cette fois-là,
c’est la femelle qu’il tue. « Bye-bye les nénés, bonjour la
quéquette » rires dans le public, « c’est drôle ça, ça fait toujours
rire ce mot de quéquette », et Tirésias continue. Héra et Zeus qui
discutent du plaisir de la chair, chacun prétendant que c’est le sexe opposé
qui éprouve le plus de plaisir. Tirésias ayant connu les deux états, homme et
femme, joue les arbitres. La femme connaît neuf fois plus de plaisir que
l’homme. Héra, vexée d’avoir perdu le pari rend Tirésias aveugle tandis que
Zeus lui donne le don de prédire l’avenir, même après sa mort.
Défilé très rapide d’images vidéo sur une musique rock très
violente, celle de Frédo Faranda : se succèdent des images de femmes de
toutes les révoltes : on reconnaît les seins nus des Femen, des femmes
anonymes voilées, d’autres voilées et
armées de kalashnikov, la jeune Malala qui ne brandit que son stylo, les Pussy
Riot, etc. Aucun jugement de valeur dans ces images. Antigone meurt mais elle ouvre
la parole des femmes. Le droit de dire NON. Le droit de la révolte. Même si
tout le monde connaît l’histoire d’Antigone, on a tendance à l’oublier. Rien
n’est jamais gagné.
Image de Lau Hebrard |
Il en va de même pour Tirésias, la mariposa, le papillon de nuit, du côté des femmes et de tous les
exclus. C’est la grande trouvaille de l’adaptation de Jean-Charles Raymond qui
a écrit la pièce d’après la traduction littérale de l’Antigone de Sophocle. Tirésias, joué si justement par Patrick Henry, est le
personnage le plus attachant, le plus humain. Antigone (jouée énergiquement par
la très jeune Chloé Vivares) parfois nous irrite et nous fatigue avec sa soif
d’absolu et son intransigeance. Créon ne réussira jamais à me convaincre qu’il a fait ce qu’il
devait faire. Celui-ci, joué par Hervé Pezière est un très grand Créon, un
Créon tout en angles et en reliefs, dur et intransigeant aussi. Hémon et
Ismène, jouent leur rôle avec conviction. Ismène (Marie Salemi) va même jusqu’à
vendre le corps de sa propre sœur, pour la sauver. C’est vrai que ça ne la rend
pas sympathique. Oui, Tirésias, nous parle et nous touche. Il prend à témoin
des spectateurs. Il s’adresse à Roger, le beauf parfait homophobe, avec humour
et sans colère. Il nous éclaire aussi. Aux deux sens du verbe.
« Qu’on éclaire le peuple » clame Créon ou le
messager, Tirésias d’un geste de la main fait un signe à la régie, et la
lumière verte éclaire le public. Le public est informé. Nous sommes le peuple
qui assistons à la tragédie. Nous sommes Charlie aujourd’hui. Nous ne sommes
pas Antigone. Antigona, pardon, avec l’accent tonique sur le i, Antigona qui
avant de mourir, nous apostrophe violemment, pour notre passivité. Pourquoi
n’avons-nous rien fait, nous ? Pourquoi sommes-nous restés
spectateurs ? Pourquoi n’avons-nous rien fait pour Charlie-Hebdo ?
Ils se débattaient pour ne pas mourir financièrement et continuaient coûte que
coûte à dessiner… mais je m’éloigne du sujet…
Quoique… pas tout à fait. Tirésias, le choeur du spectacle
nous émeut et nous faire rire, tout comme Charlie. Comme dans la vie réelle, la
tragédie jouxte le rire. Ou l’inverse. En tout cas, il fait valser tous nos
préjugés. Il espère que les collégiens ne s’injurieront plus à coups de pédés
lancés comme des crachats. Qu’il soit entendu.
superbe compte rendu et bravo pour ces mots touchants, aujourd’hui plus que jamais nous sommes charlie
RépondreSupprimerfredo pour la musique d'antigona
merci de votre passage ici et de votre commentaire... bien apprécié la musique... oui charlie plus que jamais nous sommes
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