Ce sont plumes noires coulant sur un cou blanc. Ne sais à
quel oiseau appartenaient les plumes. Ne sais à quelle tête appartient le cou.
Ne saurais donc poser un nom sur cette tête. L’image depuis quelques jours
m’obsède. Elle n’est pas issue d’un rêve. J’ai vraiment vu, mes yeux se sont
attardés sur cette image pendant que j’étais traversée de noires pensées :
la mort de l’ami, l’amer regret de n’avoir pas appelé de n’être pas passée les
voir avant, le mur, définitif.
De ses boucles d’oreille pendent des plumes de corneille sur
la peau laiteuse de la jeune fille. Je ne peux détacher mes yeux de ces plumes.
En vain, je cherche l’origine de cette image. Est-ce à la fête de la
Manivelle ? Je repasse mentalement les nouvelles têtes rencontrées à cette
occasion mais aucune ne porte plumes noires aux oreilles. Quand le cou pivote,
les plumes se soulèvent gracieusement, puis reviennent en place, prisonnières
de l’anneau doré (argenté ?), on dirait un poème.
Autre plume, jaune, celle-ci, dans une histoire – c’est
écrit « roman » sur la première de couverture pourtant on dirait des
« nouvelles », seul l’oiseau jaune – une perruche callopsitte – fait
le lien entre toutes les différents personnages… donc, dans cette histoire, la
dernière surtout – enfin celle que je viens de lire- il y a un oiseau qui
semble choisir ses têtes et les épaules pour se percher et notamment celle
d’une femme peintre qui va bientôt mourir. Pas de plumes noires mais des plumes
en lien avec la mort. Ce n’est pas une mort triste. Bizarrement. La mort de ce
personnage n’est pas triste car elle a le temps de transmettre à ses
proches tout ce à quoi elle tient. Il y a cette phrase très belle aussi : Jusqu’à sa mort, elle n’avait pas renoncé à
vivre.[1]
Ce sont plumes noires poussant cris d’orfraie. Non. Ce sont
plumes d’oiseau mort. Seule la mort effraie, rapace aux ongles noirs. C’est la
seule chose vraie. Plumes noires ne poussant aucun cri, ne poussant qu’un
silence un peu trop éternel. Ça me revient d’un coup : la jeune coiffeuse
qui m’a coupé les cheveux portait ces boucles d’oreille aux plumes noires. Au
moins quatre ou cinq à chaque oreille. Et pas des petites. On ne voyait que ça.
J’avais décidé d’être présentable pour la visite à l’ami qui venait de mourir.
C’est idiot, je sais, je ne fais pas autant d’efforts pour les vivants. Ces
plumes noires coulant sur son cou blanc, gracile, comme l’exemple type d’un
oxymore. Le temps d’un battement de cil, le cou de cette jeune fille balayé par
les plumes noires vaut un poème de Ronsard.
[1] OGAWA
Ito, Le ruban, Roman traduit du
japonais par Myriam Dartois-Ako, éditions Philippe Picquier, 2014.
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