On n’y va pas pour écrire.
On sait très bien que le miracle du vin transformé en encre
n’aura pas lieu, en tout cas pas ce jour-là (pourtant dans l’église, on peut
lire sur une banderole que « Jésus est ressuscité, qu’il est vraiment ressuscité »). On y va
pour autre chose. « Aujourd’hui fête et demain le hasard » comme dans
la chanson. Des forbans, la maison en est pleine. C’est une maison ouverte aux
forbans et aux quatre vents, aux décoiffés assoiffés et plus simplement aux
potes du propriétaire (appliqué à lui, le mot sonne bizarre) de la Manivelle.
On y retrouve bien sûr les Marseillais, rarement les
premiers jamais les derniers. Ils ont quand même fait plus de cinq heures de
route pour retrouver ce loup de scène (plus que de mer) qui les a conviés au
baptême officiel de cette maison. On retrouve pas mal d’habitants des planches
et quelques amis de jeunesse, issus de la même ville des origines de l’amitié.
On déplore l’absence des Normands, qui au dernier moment n’ont pu venir (car on
meurt et on enterre aussi ailleurs). On se réjouit de retrouver un nouveau venu
–ancien perdu de vue – déjà conquis par le lieu et sa faune (on n’emploie pas
le mot péjorativement).
Pourquoi on
s’invite-t-il ? On n’est pas le préféré. On n’est pas je, c’est déjà ça.
Mais pourquoi pas nous ? Parler de La
Manivelle sans nous serait comme parler d’une coquille vide. Mais on s’est
invité, on ne sait pas pourquoi. On restera un mystère. On enlèvera même les
italiques. Comme ça. Parce que c’est compliqué tous ces signes, cette infinité
de signes. Sans compter les signes qu’on ne sait pas déchiffrer. On ne sait pas
pourquoi. On essaiera de trouver un sens à tout ça plus tard après la fête.
On se retrouve tous donc à la Manivelle. Certains sont là
depuis la veille et repartiront le lendemain. D’autres restent seulement pour
la soirée. Les Marseillais resteront quelques jours, au moins deux nuits. On
peut dormir à une quinzaine mais on n’est pas venu là pour dormir. On est venus
dans cette ancienne menuiserie pour retrouver un ami. Un vieil ami aux cheveux
blancs depuis longtemps. Qui a fait depuis peu son lieu de vie ici dans le
Quercy, après plusieurs années à Marseille et d’autres ailleurs. Dans le
village, on l’appelle Manivelle, par homophonie avec son nom, sans doute, mais
aussi parce qu’il n’est pas le dernier à donner un coup de main. Habile de ses
mains, c’est bien utile quand on est metteur en scène d’une compagnie
itinérante, ce qu’il est. Il faut voir les structures polymorphes de L’Île au trésor ou de l’Or m’a ruiné par exemple. C’est un bon
comédien – qui joue les cabots mais qui n’en est pas un, il ne cabotine pas, il
joue. Depuis deux ans il fait des travaux dans sa maison et dans l’ancien
atelier qui va devenir lieu de répétition et espace scénique pour les groupes
musicaux et compagnies théâtrales.
On fête l’inauguration de La Manivelle. On adhère à
l’association en mettant sa tête dans le trou pour se faire tirer le portrait.
Le fond vert du décor représente une carte d’adhérent avec NOM, Prénom, N°
d’adhérent en grosses lettres noires et tout en bas en petites lettres
l’adresse de l’association et le dessin d’une manivelle. On met sa tête dans le
cadre et on tient le bord – on voit la main. La photo est tirée tout de suite.
On a un numéro sur sa carte d’adhérent mais on n’est pas un numéro. Numéro 21
discute longtemps avec numéro 6, qui n’est pas le prisonnier de la Manivelle.
La bulle ne va pas l’envelopper pour l’empêcher de s’échapper. Il s’est évadé
déjà de l’ordinaire des jours. Il a rencontré des gens extraordinaires, comme
Daniel, le gars de Ras le bol qui
fait de la soupe une fête (sa soupe aux panais, au cœur de la nuit... vous
engloutit) ou Colombe la voisine d’en face ou l’un des (au moins) trois Alain. On va d’Alain à l’autre et on s’oublie
enfin.
On ne va pas écrire à la Manivelle. Ou alors plus tard. On
se contente de se contenter, de se sustenter, d’écouter musique et paroles
d’ivresse. On ne s’occupe pas de déchiffrer les signes. Ici, les signes du
destin, s’ils existent, ne font pas signe. Le destin signera de son nom plus
tard et ailleurs. Le lendemain de la fête, c’est encore la fête ; il reste
encore du vin. Le tonnerre gronde, la pluie tombe et sur la terrasse, il y a
une guitare qui circule de main en main. Car il y a encore des musiciens et des
voix. Ça chante de vieilles chansons comme celles de Nino Ferrer (qui a vécu
non loin d’ici) et c’est vrai… On dirait
le Sud… Le temps dure longtemps… Et la vie sûrement…
On chante aussi le Forban « Aujourd’hui fête et demain
le hasard ». Le hasard fera tomber un ami, un qui n’est pas venu à la
Manivelle. Qui n’y viendra plus.
On n’y vient pas pour écrire. Mais la Manivelle vous aide à
redémarrer et rouler encore un petit bout de route. Elle porte bien son nom.
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