Car il faut bien que ça parte de quelque part, que ça
s’origine avant de dévier… Qu’est-ce qui met en tension cette dérivation ?
Il me faut pose matériel et matière, là, sur la table : les mots qui
viennent en premier, les mots qui vous traversent et que l’on n’accueille pas à
bras ouverts, parce que traitres ou trahis, ils ne sont pas nés de vous. Mais
peu importe la naissance – la question de l’origine ne m’intéresse pas – c’est
le transport qui compte finalement – la possibilité d’un véhicule – et d’un
conducteur qui laisserait librement dévier son véhicule – un véhicule vivant
dont la trajectoire serait en partie inconnue.
Soit, admettons que ce soit cette image qui te vienne. Un
âne par exemple, c’est joli comme véhicule vivant, et toi dessus. Un âne
conduit mollement – n’oublie pas de le laisser aller à sa convenance – par une
ânesse. Tu pars sur ton âne – les sons te portent – en liesse. As-tu au moins
une petite idée d’où tu vas ? Ânesse en liesse ne forme pas poème.
Quitte le sentier des mots. Pars de la sensation concrète de
ce moment parfait. Bourdonnement de l’abeille, bruissement du vent,
ronronnement des voitures au loin. L’âne s’arrête. Flatte-lui l’encolure.
Remets-le en mouvement, tu tiens les rênes. Les odeurs vertes et gourmandes te
ramènent à l’enfance et à la nostalgie. Aïe ! Dévie, dévie de cette pente
périlleuse ! Mon â-ne, mon â-ne, a
bien mal à la patte… Abats le pathos, dévie, dévie, vite ! Piétine la
nostalgie, garde l’enfance. Prends l’enfance comme principe d’écriture. Écris
sans chercher à.
Te voici ânesse sur un âne d’enfance.
Enchante-toi du vert touchant le bleu avec des crayons mal
taillés.
Descends de ton âne, monte dans le cerisier – te cacher dans
un creux attendre que quelqu’un trouve
ton plein. Les cerises ne rougissent pas assez vite, tu t’ennuies.
Médite une bêtise – une bêtise à échelle – une échelle à bêtise
ça doit bien se trouver quelque part ! Pour porter l’échelle, il te faut
un autre que toi.
Tu trouves d’abord une échelle sociale toute rouillée (pas vaccinée
contre le tétanos, tu la laisses). Sur une échelle de 0 à 10, tu as zéro peur,
1 peu peur, 2 oreilles tout ouïes, 3 raisons d’arrêter ce jeu qui t’ennuie déjà…
Tu suis une abeille – une grande bouffée d’air bouge l’air autour de toi. Tu
retrouves l’âne. Ses grands yeux dans les tiens te posent des questions
rhétoriques –celles que tu préfères – pas obligée de répondre.
Tu dévies, t’arrêtes d’écrire.
Tu commences vraiment maintenant.
(Apt, dans
la maison de Chantal « la licorne », 23/04/17)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire