[Voici les premières scènes de Nuées ardentes, petite forme dramatique écrite par Claude Camillieri
Salaün. À chaque fois, j’ai assisté avec bonheur à sa naissance, à sa lecture à
voix haute et ses transformations. Merci Claude de partager ton travail ici. Est-ce-en-ciel
revient à la vie.]
Dans un restaurant, en Sicile. Au loin l'Etna dégage un panache de fumée
blanche. Deux couples attablés. Ils ne se connaissent pas. Le couple 1 est
formé depuis 25 ans. Le couple 2 est bien plus jeune. Leur premier voyage ensemble
peut-être.
Acte I
Scène 1
Charles, Diane
La moitié de la table
occupée par Diane et Charles est éclairée.
Charles -
Tu vois depuis que nous sommes ici, je ne te comprends plus. D'ailleurs pour
être franc, je ne t'ai jamais comprise. Tu me parles dans une langue étrangère,
même plusieurs langues étrangères… Ton air absent, tes sourires pincés, tes
allusions bidons…
Diane -
Tu as le droit de ne pas me comprendre mais tu peux me parler autrement.
Charles (il se sert du vin rosé)
- Ça ne
te fait pas peur à toi, le panache blanc ? À l'hôtel, ils ont dit qu'une
éruption était prévue. Les sismographes ont bougé… Nos vacances fichues,
rapatriés, plus rien, tout perdu... Tu imagines ? C'est bien notre chance.
Diane - Je ne sais pas…
Charles (agressif) - Qu'est-ce que tu ne
sais pas ?
Diane - Je ne sais pas si c'est
une question de chance ou malchance.
Charles (ricane) - Alors pour toi être
transformée en momie cendrée d'une seconde à l'autre ce n'est pas de la
malchance. Non ! Il faudrait quoi ? Godzilla en personne qui t'enlève
pour lui tout seul.
Diane - Ce n'est pas ce que je
voulais dire...Tu as vu ces couteaux ? Ils ressemblent à notre service. La
lame effilée…
Charles - Je ne supporte plus
cette façon que tu as de ne pas finir tes phrases…
Diane - L'évaporation de son
âme…
Charles - !
Scène 2
Charles, Diane, Pablo, Aude
Toute la table est éclairée. Un jeune couple est assis à côté de
Charles et Diane. La jeune fille les observe. Le jeune homme est occupé à
déguster ce qu'il y a dans son assiette.
Aude (elle se penche vers Pablo)- Tu as vu le couple à côté de
nous ? Lui, il parle sans arrêt. Il n'a pas l'air content, il la fixe, il
lui en veut. Elle ne dit rien ou presque. Elle baisse souvent les yeux ou
regarde ailleurs. Elle regarde le couteau à viande. C'est tout. Tu crois qu'on
pourrait finir comme ça ?
Pablo - Ça m'étonnerait...
L'huile d'olive ici c'est de l'or, je te jure, de l'or par transparence.
Charles - Je n'ai pas fermé l'œil
de la nuit. La clim ne marche pas et cette histoire de volcan dans la tête. Tu
as pu dormir toi ?
Diane – Oui, je crois. J'ai même
rêvé de …
Charles (il lui coupe la parole)- Les nuées ardentes c'est ce qu'il y a de
pire. L'onde de choc, la coulée et les nuages. Le couple, tu sais, les deux
scientifiques, les Kraft, même eux ils ne les ont pas vues venir. C'est brutal,
tu n'as même pas le temps de te retourner et c'est fini.
Aude (à voix basse à
Pablo) Tu
l'entends ? Il râle tout le temps, il a peur, il est nerveux. Un
dépressif, un boulet en vacances.
Diane (le couteau effilé à la main, se retourne violemment vers Aude) -
Mademoiselle, je vous en supplie, prenez ce couteau et essayez de scier ma
ceinture, elle est coincée. Je n'arrive plus à respirer, j'étouffe.
Photo: Araignée de Louise Bourgeois
Texte: Claude Camilleri Salaün
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