C'est la suite et la fin des Nuées Ardentes de Claude Camilleri Salaün. Encore merci Claude pour ce texte...
ACTE II Scène
Le narrateur, Diane
La scène se déroule dans un théâtre, plus
tard.
Diane est seule sur scène,
elle s'adresse au public.
- Que celui ou celle qui ne s'est jamais senti
incompris se lève !
Bon, je
vois vous restez assis.
Je ne vous comprends pas. Voilà, ça vous poursuit,
ici et maintenant.
Vous avez joué votre rôle. C'est bien...très bien.
Maintenant nous allons passer aux choses sérieuses.
Rassurez-vous moi aussi j'ai peur.
Inspire...expire...trois
fois…
(Elle s'adresse à la
régie, à l'homme qui a balancé les lumières)
Tu pourrais baisser la lumière, là-haut ? Sinon
je n'y arriverai pas !
(l'intensité lumineuse est atténuée)
Merci.
J'ai quitté Charles d'une façon inavouable. Je l'ai
précipité dans le cratère...enfin...je veux dire...le cratère de sa névrose.
Cette petite brune, assise à côté de moi, cette
jeune fille dont la chevelure dégringolait dans le dos et qui en son for
intérieur, je le voyais, était un corps nu qui dévale du sommet de la dune à la
base et culbute dans le ravissement, cette petite brune, je le dis, m'a
libérée. Elle ne savait pas si bien faire quand elle a scié ma ceinture et que
petit à petit, le souffle entrait par saccades
(Diane mime la scène du
restaurant)
Je me suis levée, oui debout enfin. Pauvre type,
j'ai dit, oui. Pauvre type, ça fait vingt cinq ans que je te supporte, supporte
ta logorrhée, ton chantage affectif, tes circonstances atténuantes, ta mère, ton
père…
Mon cul ! Oui !
Le rêve que je voulais raconter avant que tu ne me
coupes la parole, la nuit où l'Etna menaçait ? J'étais devenue comédienne
et je levais enfin les yeux...et si je tombais, je me relevais. Et si j'avais
peur, j'y allais quand même. Et j'ai vu enfin, dans mon for intérieur, une
belle araignée, splendide, qui tissait sa toile, l'espoir du soir. Il m'a
répondu , folle tu es , folle tu resteras. Et je suis partie. Je voyais dans
son for intérieur une main qui claque, une porte qui se ferme et une clef qui
se perd. Je n'ai pas eu de remords.
(applaudissements, Diane
salue, le théâtre se vide puis silence)
(Elle enlève ses
chaussures, sa ceinture et dénoue ses cheveux, elle s'assoit sur le bord de la scène, ses jambes se balancent dans le
vide.)
ACTE III, scène 1
Diane, Charles
Le théâtre est vide, le rideau est fermé, l'assise des fauteuils
rabattue sur le dossier, les lumières éteintes, un chat sur la scène fait sa
toilette, il se passe la patte derrière l'oreille. La comédienne arrive, le
rideau se lève, une lumière blanche, aveuglante est balancée sur scène. Elle doit répéter. Un seul fauteuil est
occupé. Un homme assis au milieu de la salle, regarde obstinément Diane.
Diane (la main au-dessus des yeux) – Qu'est-ce
que tu fous là ? Par où tu es entré ? Le spectacle va commencer, une
mise au point est nécessaire.
Charles - Fais comme si je n'étais pas là. Vas-y
commence, on m'a dit que tu parles de nous dans ton spectacle. Je suis quand
même concerné. Non ?
Diane - Fous le camp !
Charles - Calme-toi. Tu sais bien que j'irai jusqu'au
bout... j'ai payé ma place.
Diane - Je vais te crever les yeux !
Charles - OEdipe n'a eu besoin de personne pour le
faire. Remarque je n'ai pas couché avec ma mère, moi. Quant à mon père, comme
je ne l'ai pas connu, je l'ai peut-être tué en tirant dans le tas... aux
fléchettes ou à l'arbalète... ou en engageant un tueur à gages. Je trouve que
tu as minci.
(Diane ramasse une
bouteille sur la scène et la jette dans le public. La bouteille tombe mais ne
touche pas Charles.)
Charles - Ah ! Tu as peut-être commencé à boire.
Ça ne m'étonnerait pas, tu ne sais pas vivre sans dépendance.
Diane - Oublie-moi ! Casse-toi, crétin, tu me
dégoûtes.
Charles - Tu ne peux pas m'échapper... tu sais qu'un
jour ou l'autre je vais te…
(Le rideau se ferme, les spectateurs arrivent et s'installent les uns
après les autres.)
Scène 2
(Le rideau s'ouvre, Diane
est sur scène, elle contrefait la voix grave de Charles.)
Quand il m'a dit « je ne te comprends pas,
Diane, d'ailleurs je ne t'ai jamais comprise... (elle reprend sa voix) En mon for intérieur, j'ai senti quelque
chose d'étrange comme... comme une araignée géante, tapie dans l'ombre. Elle se
lève, se déplace lentement, de biais.
(Diane
danse l'araignée) Gagnée par l'urgence de tendre les fils, elle
ressemble à l'araignée de Louise
Bourgeois. Elle parle. Je l'écoute.
Elle me dit : « Ce jour est ton jour. Ce
jour est le mien. Je dois t'aider à en venir à bout. Il faut le faire taire. Je
l'enjambe, je me couche sur lui et lentement, très lentement, je le neutralise.
Je plante mon dard très profondément dans le cortex central, j'en extrais
toutes les molécules chimiques de la mélancolie. Il doit pouvoir se passer de
toi. Il le faut.»
Là, je respire enfin.
L'araignée parle à nouveau : « Pas si
vite ! J'ai commis une erreur au moment de la transfusion. Ne me remercie
pas avant de savoir ce qui à présent circule dans son sang. »
Je lui réponds, car je sais moi, ce qui circule en
lui, « l'âme d'un tueur ».
FIN
Claude Camilleri Salaün
24 juillet 2016
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