mercredi 17 août 2016

Nuées ardentes / 2

C'est la suite et la fin des Nuées Ardentes de Claude Camilleri Salaün. Encore merci Claude pour ce texte... 





ACTE II  Scène 

 Le narrateur,  Diane
                             La scène se déroule dans un théâtre, plus tard.            

 Ce serait l'histoire de Diane qu'on n'avait jamais écoutée, qui ne s'était jamais sentie comprise. Ce voyage en Sicile lui permet de changer de vie. Ce couteau qu'elle tient l'a libérée. À partir de ce jour, elle a pu respirer mais à sa manière.

            Diane est seule sur scène, elle s'adresse au public.

- Que celui ou celle qui ne s'est jamais senti incompris se lève !
   Bon, je vois vous restez assis.

Je ne vous comprends pas. Voilà, ça vous poursuit, ici et maintenant.
Vous avez joué votre rôle. C'est bien...très bien.
Maintenant nous allons passer aux choses sérieuses. Rassurez-vous moi aussi j'ai peur.
                       Inspire...expire...trois fois…

(Elle s'adresse à la régie, à l'homme qui a balancé les lumières)

Tu pourrais baisser la lumière, là-haut ? Sinon je n'y arriverai pas !
(l'intensité lumineuse est atténuée)
Merci.

J'ai quitté Charles d'une façon inavouable. Je l'ai précipité dans le cratère...enfin...je veux dire...le cratère de sa névrose.
Cette petite brune, assise à côté de moi, cette jeune fille dont la chevelure dégringolait dans le dos et qui en son for intérieur, je le voyais, était un corps nu qui dévale du sommet de la dune à la base et culbute dans le ravissement, cette petite brune, je le dis, m'a libérée. Elle ne savait pas si bien faire quand elle a scié ma ceinture et que petit à petit, le souffle entrait par saccades
(Diane mime la scène du restaurant)

Je me suis levée, oui debout enfin. Pauvre type, j'ai dit, oui. Pauvre type, ça fait vingt cinq ans que je te supporte, supporte ta logorrhée, ton chantage affectif, tes circonstances atténuantes, ta mère, ton père…
Mon cul ! Oui !
Le rêve que je voulais raconter avant que tu ne me coupes la parole, la nuit où l'Etna menaçait ? J'étais devenue comédienne et je levais enfin les yeux...et si je tombais, je me relevais. Et si j'avais peur, j'y allais quand même. Et j'ai vu enfin, dans mon for intérieur, une belle araignée, splendide, qui tissait sa toile, l'espoir du soir. Il m'a répondu , folle tu es , folle tu resteras. Et je suis partie. Je voyais dans son for intérieur une main qui claque, une porte qui se ferme et une clef qui se perd. Je n'ai pas eu de remords.

(applaudissements, Diane salue, le théâtre se vide puis silence)

(Elle enlève ses chaussures, sa ceinture et dénoue ses cheveux, elle s'assoit sur le bord  de la scène, ses jambes se balancent dans le vide.)


ACTE III, scène 1
Diane, Charles

Le théâtre est vide, le rideau est fermé, l'assise des fauteuils rabattue sur le dossier, les lumières éteintes, un chat sur la scène fait sa toilette, il se passe la patte derrière l'oreille. La comédienne arrive, le rideau se lève, une lumière blanche, aveuglante est balancée sur scène.  Elle doit répéter. Un seul fauteuil est occupé. Un homme assis au milieu de la salle, regarde obstinément Diane.


Diane (la main au-dessus des yeux)Qu'est-ce que tu fous là ? Par où tu es entré ? Le spectacle va commencer, une mise au point est nécessaire.

Charles - Fais comme si je n'étais pas là. Vas-y commence, on m'a dit que tu parles de nous dans ton spectacle. Je suis quand même concerné. Non ?

Diane - Fous le camp !

Charles - Calme-toi. Tu sais bien que j'irai jusqu'au bout... j'ai payé ma place.

Diane - Je vais te crever les yeux !

Charles - OEdipe n'a eu besoin de personne pour le faire. Remarque je n'ai pas couché avec ma mère, moi. Quant à mon père, comme je ne l'ai pas connu, je l'ai peut-être tué en tirant dans le tas... aux fléchettes ou à l'arbalète... ou en engageant un tueur à gages. Je trouve que tu as minci.

(Diane ramasse une bouteille sur la scène et la jette dans le public. La bouteille tombe mais ne touche pas Charles.)

Charles - Ah ! Tu as peut-être commencé à boire. Ça ne m'étonnerait pas, tu ne sais pas vivre sans dépendance.

Diane - Oublie-moi ! Casse-toi, crétin, tu me dégoûtes.

Charles - Tu ne peux pas m'échapper... tu sais qu'un jour ou l'autre je vais te…

(Le rideau se ferme, les spectateurs arrivent et s'installent les uns après les autres.)














Scène 2

(Le rideau s'ouvre, Diane est sur scène, elle contrefait la voix grave de Charles.)

Quand il m'a dit « je ne te comprends pas, Diane, d'ailleurs je ne t'ai jamais comprise... (elle reprend sa voix) En mon for intérieur, j'ai senti quelque chose d'étrange comme... comme une araignée géante, tapie dans l'ombre. Elle se lève, se déplace lentement, de biais.
(Diane danse l'araignée) Gagnée par l'urgence de tendre les fils, elle ressemble à l'araignée  de Louise Bourgeois. Elle parle. Je l'écoute.
Elle me dit : « Ce jour est ton jour. Ce jour est le mien. Je dois t'aider à en venir à bout. Il faut le faire taire. Je l'enjambe, je me couche sur lui et lentement, très lentement, je le neutralise. Je plante mon dard très profondément dans le cortex central, j'en extrais toutes les molécules chimiques de la mélancolie. Il doit pouvoir se passer de toi. Il le faut.»
Là, je respire enfin.
L'araignée parle à nouveau : « Pas si vite ! J'ai commis une erreur au moment de la transfusion. Ne me remercie pas avant de savoir ce qui à présent circule dans son sang. »
Je lui réponds, car je sais moi, ce qui circule en lui, « l'âme d'un tueur ». 

             

                                     FIN


                                                                                                 Claude Camilleri Salaün
                                                                                                                    24 juillet 2016


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