Image de Delphine Bole (merci!) |
Tu entends le son du Real. Sa conversation
intime. Son bruissement infini sur le silence des pierres.
Un bouquet de troncs transperce l’épaisseur de
l’instant.
Avant cela, avant, il y a les deux bras tendus
comme pour l’étreinte du platane éventré.
Avant cela, il y a la voûte qui sépare le
balcon de la route, demi-sphère ouverte sur des Alpes imaginaires. Tu entends
le bêlement de moutons du passé, l’arrondi de leur bergerie fait écho à celle
du pont.
Les mains ouvertes des feuilles de platanes au
sol. Mains à la peau brune, roussie, orangée, craquelée par la sècheresse.
Plus loin, l’enfance s’est figée dans l’ombre
froide d’un livre posé sur le muret.
La maison est restée, solitaire, le tilleul a
grandi.
L’arbre et ses nombreuses vies. Chacune repliée
dans ses strates de bois, dont l’aubier préserve le secret.
Par un trou aléatoire de l’écorce, une histoire
s’échappe, un fragment de vie, d’enfance peut-être.
Le chêne assassine gland par gland l’innocence.
La poésie bucolique, oui, mais à l’écart des coups sournois du vent et de la
gravité.
Le dialogue en toi est bavard. Ce ne sont plus
deux voix qui s’entremêlent mais mille voix qui s’imbriquent se cherchent
cahotent se coupent la parole s’alimentent.
L’une suit le cours joyeux du Real, emprunte sa
tessiture, gorgée de mousse éphémère.
Quand en auras-tu fini de ton monologue
multiple, des enchevêtrements de ta pensée, noueuse comme un bois, torsadée
comme un tronc, fouillis comme ces branchages ?
La nature écrit le temps
elle parle aussi bondit sautille avale
l’impuissance de l’homme jaillit sourd sans se laisser interrompre par les
virgules de pluie ou les points de suspension des nuages
d’une rive l’autre de la page court ton encre
affamée d’émois
les particules de vie pourriture moisissure
germe pistil filaments forment un tout qui t’englobe et te sature à en perdre
le souffle à en perdre la voix à en perdre le chant du monde.
Me voici plus calme, apaisée au pied de cette
statue centenaire. Ses rejetons rouillés font tapis, ses racines rebelles siège
impromptu. Ma peau contre la sienne robuste et fragile, sale et noble, ma chair
épousant ses veines. Sa sève non loin irrigue ma verve.
Dans le virage tout pourrait s’inverser : le
cours de l’eau, le sens de l’âge
remonter la rivière comme le temps, revenir à
la source comme au passé, reculer au lieu d’avancer, renverser le mouvement, du
sol vers la branche pour la feuille perdue, de la mousse au surplomb pour l’eau
qui se jette, l’encre reviendrait au stylo, la pensée retournerait se blottir
dans la tête les mots dans la gorge alors je ne parlerais plus tu n’écrirais
pas vous n’entendriez rien nous ne respirerions plus.
retourne au vide, le souffle
retourne au néant
repars d’où tu viens !
mais je vais et viens, j’inspire ici et là
expire, d’où suis-je, où nais-je ?
Point de neige à ce pont-là, mais de l’eau, une
eau tapie qui danse discrètement la ronde, incertaine de vouloir quitter la
voûte, incertaine de vouloir couler. Coulant quand même, malgré elle, libérant
des ors dans sa fugue.
Là, je reprends le fil. Le fil de l’eau. Le
cours du Real, le flux du texte lâché par inadvertance.
La pluie s’est accentuée maintenant, une pluie
d’automne légère et jaune, au frôlement doux à l’oeil et à l’oreille.
La forêt palpite de ces ondées végétales, elle
respire de grandes brassées, expire à l’unisson avec nous. Elle nous oxygène,
quand nous lui offrons nos molécules de carbone inventées par le corps humain
pour faire respirer les arbres. Me voilà trempée d’automne, mouillée d’or et de
cuivre. Larmes sèches qui viennent expier au sol le péché d’insolence de l’été.
Texte et images: Delphine
Bole, novembre 2016
Cette ballade au bord du réal et Claude auront inspiré de bien beaux textes, merci d'avoir joint le tien aux nôtres chère Delphine...
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