Lucie l’a vu. Tu dis, toi, qu’elle
l’a pris dans ses mains dit Lili.
C’est une fleur rouge aux pétales
serrés dit Walter.
Tu te trompes, ce n’est pas ce que
Lucie portait dit
Joe.
Ah ? Je croyais dit Walter.
Non, c’était blanc, je le jurerais dit Joe.
Tu parles de sa robe ! dit Lili.
Non ! De l’objet fragile entre
ses doigts. Long, étroit et de toute beauté dit Joe.
Un clinamen, quoi ! dit Rosette.
Tu te moques de moi. Un pot de
chambre, un chapeau, n’importe quoi ! dit Lili.
Et pourquoi pas une outre ! dit Walter.
Je sais, moi, que Lucie le portait
prudemment dans ses bras dit Joe.
Elle avançait courbée. Le clinamen était lourd et la faisait
ployer. C’était un poids qui emportait son corps sur le côté. Lucie souriait au
souvenir de ses maternités. A ce corps qui penchait, à ce ventre en avant et ce
dos incliné. Mais plus elle avançait plus son être tanguait. Le clinamen, elle
n’osait le poser. Et s’il se brisait ?
Le sourire venait de se figer. De l’inclinaison du corps
naissait une douleur plus légère qu’un secret. Cette chose l’entraînait qu’elle
ne pouvait nommer. Si les hanches restaient encore droites, déjà la taille
flanchait. Les épaules s’affaissaient. Les bras, à peine plus tôt qui s’étaient
arrondis pour épouser l’objet, ne le supportaient plus. Ils n’étaient qu’une bague
qui l’enchâssait.
Sur le chemin de terre, entre les champs de vigne, elle
n’était pas la seule à plier les genoux. Mais elle était petite. Le sol était plus
proche. D’autres, plus ronds, plus trapus, plus ancrés dans la terre,
semblaient moins inclinés. Les grands s’abaissaient moins, c’était ce qui lui
semblait.
Il y avait des rythmes, des saccades et des trébuchements.
Personne ne s’arrêtait. Des façons de porter l’objet, un peu plus en avant, en
arrière, sur le côté. Personne ne le posait. Et Lucie s’épuisait dans le
silence opaque.
Etait-ce l’effet de l’inclinaison ou une nouvelle manière de
prier, les genoux effondrés, les doigts crochus comme des serres pour retenir
l’objet, elle se sentit happée par des rais de lumière, de poussières blondes
qui voltigeaient. Et l’objet s’échappa. Afin
de ne pas entraver la marche des solitaires sur le creux du chemin, Lucie roula
dans le ravin.
Gardant l’œil sur l’objet, elle vit quand il ouvrit la
bouche. Alors, dans un dernier souffle, paisible, elle pensa Il va parler, c’est bien.
Texte: Chantal TRAN
Merci Chantal pour ce beau texte... Reviens quand tu veux...
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