Temps
blanc qu’à la fin il se casse. Et blanc cassé n’augure pas une mauvaise
journée.
Ils apprenaient à marcher, du pas qui fait
aller ensemble le jeune et l’ancien, les petits et les femmes enceintes. Ils
avançaient tous ainsi donnant un effet de chœur sur la terre. Ils chantaient
pour remplir l’espace menaçant de la liberté, qui n’est pas une liste
d’avantages et de droits, mais le risque de pénétrer en territoire vide. La
liberté demande une discipline adaptée à la déroute.
Ici
elle s’était arrêtée. De lire pour écrire. Non, de lire pour recopier. Le temps
d’écrire n’était pas encore venu. C’était le temps des cahiers. Le cahier de
brouillon était celui qui faisait le moins peur. On pouvait griffonner tout et
n’importe quoi. Le carnet en cuir, en revanche convenait pour recopier ce qui
était achevé. Dehors la neige s’était mise à tomber. Temps blanc n’est pas
temps mort. Mais il fallait laisser reposer les mots.
La liberté demande une discipline adaptée à
la déroute. C’était un désert grand ouvert tout autour, sans aucun toit.
L’horizon avait des bords brûlants qui interdisaient d’approcher. Où qu’ils
aillent, ils restaient au milieu d’une poêle.
De
l’usage des cahiers. Quelque chose de désuet, de légèrement superstitieux et
d’hygiénique. Assouplir la main qui s’apprête à écrire, qui n’est pas une
machine. La machine est un gros cahier. Les premiers mots bondissant comme des
chiens joueurs, prêts à la promenade, n’ont pas besoin de laisse. Ils s’ébrouent
un moment dans la neige. Puis reviennent tout mouillés s’allonger dans le
cahier de brouillon. Pendant qu’ils dorment sur les pages, les monstres
montrent le bout de leur gueule. Avoir la sagesse ne pas chercher à les
apprivoiser. Plutôt lire cela –elle ne le savait pas encore mais toute sa
journée tendait vers cela qu’elle allait lire – afin de ne pas pouvoir écrire
encore.
Ils apprirent au pied du Sinaï que l’écoute
est une citerne dans laquelle se déverse une eau de ciel de paroles scandées à
gouttes de syllabes. L’écoute est un puits qui les garde entières, on peut en
prendre là chaque fois sans qu’il en manque une. Et à force d’extraction, la
provision ne diminue pas, elle reste égale.
(Les passages en italiques viennent d'Erri
De Luca, Et il dit, éd. Gallimard,
2012, p. 40 et p. 45)
cahiers d'enfance, doigts tachés d'encre violette ... cahier de brouillon, copie sur le cahier du jour, le plus beau, celui qui n'admet pas l'erreur, et le cahier du soir, pour les devoirs du lendemain. Que de souvenirs d'enfance remués !
RépondreSupprimerMerci CHRISTINE , merci ERRI , Pas mal de pierres précieuses dans ce texte ,,,l'envie d'en connaitre plus ,,
RépondreSupprimerC'est bien ,pour entamer ce Dimanche matin , ,pas euphorisant ,mais doux et rassurant ,,,, peut-etre! , D3