vendredi 6 décembre 2013

Vases communicants avec Philippe Aigrain @balaitous

Cela faisait très longtemps que je n'avais pas participé aux Vases communicants... Ayant pris un peu d'assurance, j'ai eu le culot de demander à Philippe Aigrain s'il voulait bien faire un échange avec moi. Je dis culot car ce monsieur m'impressionne à plus d'un titre. D'abord par son engagement pour les libertés et le partage des biens culturels sur internet, ensuite par le niveau de ses connaissances en informatique, enfin (et surtout?) par sa poésie et ses fictions qu'on peut lire sur son Atelier de Bricolage Littéraire. Il a accepté simplement l'invitation et je suis ravie de partager ici mon plaisir de lecture. Nos textes partent de trois photographies de Philippe Marc qu'ils interprètent librement...



1-2-3-Soleil

1



C'est arrivé en un seul instant, mais comment le raconter sans mettre les choses dans l'ordre ? Une fraction infinitésimale de seconde après, l'oiseau – un sterne ? –  ne serait plus qu'un souvenir. Il ne resterait que son ombre et son reflet, sculptés dans des ondelettes d'eau figée, empreinte emboutie dans la tôle du présent par la gigantesque presse du bouleversement.

2



Ils marchaient d'un pas presque synchronisé. Trop loin l'un de l'autre pour se tenir la main. Il faisait chaud disent leurs sandales. Ils allaient quelque part, d'un pas mesuré mais tout de même décidé. Dans ce quelque part, ils feraient quelque chose, l'amour dans une chambre ou boire un verre à la terrasse d'un café. Peut-être se tenaient-ils un peu à distance pour savourer le temps qui les séparait de ce quelque chose. Peut-être ont-ils été saisis l'instant d'après pour toujours dans cette attente, leurs vêtements se tenant comme des marionnettes au-dessus de leurs ombres.

3



Là nous sommes un millionième de seconde trop tard. Des milliers de personnes ont marché sur le sable, mais combien étaient-ils à se tenir sous ses parasols et pourquoi ne reste-t-il que l'ombre des parasols, pas de trace de leurs corps ? Peut-être n'y avait-il personne ? Pourtant ça devait être bien tentant de s'y allonger.

Soleil
Que s'est-il donc passé entre les photos normales et celles prises un instant plus tard ? Est-ce la soudaine révélation que l'existence des êtres vivants est intermittente, qu'elle bat comme un cœur, et qu'un nouveau modèle d'appareil photo capterait soudain les intervalles de néant entre deux grains temporels de leur existence. Tous les êtres vivants seraient-ils alors synchronisés ? Sommes nous tous régis par une horloge commune ? Ou bien est-ce une gigantesque partie d'1-2-3-soleil, à laquelle tous les êtres vivants joueraient en même temps contre un appareil qui ne capterait que le mouvement ?

Texte de Philippe Aigrain
Photos de Philippe Marc

Chaque premier vendredi du mois, ont lieu les Vases Communicants; qui-veut invite sur son blog qui-veut et ces deux-là se mettent à écrire sur un thème, une consigne, une image... Vous trouverez ma proposition chez lui.  Brigitte Célérier - la remerciera-t-on jamais assez - patience et persévérance incarnées -  dresse la table des convives et vous invite à consulter le menu ici.

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