Rendre compte #2
Deux auteurs et trente profs - ici élèves – qui viennent
écrire pour eux, pour se nourrir, pour partager, pour nourrir de nouveau leurs
élèves. Deux groupes. Nous optons pour Ahmed Kalouaz, sa rondeur, son verbe et
ses mains qui dansent, son sourire. D’emblée, nous parlons du projet
« Lettre à soi l’être à l’autre » et de la thématique retenue cette
année « mon école, mon quartier, mon village (ou ma ville) » pour nos
élèves. Et Kalouaz de lire un premier extrait, sur une ville sans attrait, Le
Creusot, que Christian Bobin décrit comme « la ville la plus moche du
monde » dans Prisonnier au berceau.
Première consigne : sortir sa carte bleue… Désorientés, gênés, goguenards,
nous nous regardons. Nous voilà rassurés : il s’agit de tracer le contour
de la carte (pour les élèves, une carte cantine fait l’affaire) pour
restreindre la surface d’écriture… La première proposition : une phrase
tirée au hasard du récit de Bobin : J’ai
été moineau…
J’ai été moineau – petit moine à porter l’évangile
et les psaumes du petit matin – à sillonner le ciel
quand il n’est pas encore levé – moineau à becqueter
les matins mauves et gris – moineau à moinelle –
maintenant c’est fini tout ça… moineau, c’était le
bon temps…
et les psaumes du petit matin – à sillonner le ciel
quand il n’est pas encore levé – moineau à becqueter
les matins mauves et gris – moineau à moinelle –
maintenant c’est fini tout ça… moineau, c’était le
bon temps…
La deuxième consigne : tracer le contour de la carte à
la verticale et une proposition encore tirée de Bobin : « L’été on
met les solitaires… »
(texte non
retravaillé)
L’été on met les solitaires dans des cases ;
dans ces cases, il y
a des livres qui rayonnent
et dans ces rayons, il y a d’autres solitaires
qui
écrivent des histoires de solitaires en hiver
et ces histoires commencent
souvent par :
L’été on met les solitaires…
et cette phrase fait sortir des
cases.
Et puis vient le temps
de la lecture ; certains plus réticents, prennent des précautions
oratoires – que Kalouaz balaie d’un trait d’humour ou d’une anecdote ; il
précise qu’on a droit à un joker, mais un seul pour ne pas lire ; l’une
d’entre nous a toujours ce petit froncement de sourcil avant de commencer à
lire ; une autre a une voix chaude et vibrante comme une corde de violoncelle ; tout
le monde se plie au jeu et l’on apprend petit à petit à se connaître. La
matinée avance vers le mitan du jour en même temps que la gêne s’estompe. Et
puis il y a les pauses café de ce drôle de lieu. Un ancien hôtel délabré, qui
abrite le CRDP et la Cinémathèque de Marseille. L’hôtel a abrité des officiers
allemands pendant la guerre – des choses
pas bien belles ont eu lieu ici ; une ombre passe avec la pause.
La consigne est une phrase de départ tirée d’une nouvelle de
Raymond Carver, Les Feux :
« Il était en train de passer l’aspirateur lorsque le téléphone
sonna » ; il s’agit d’intégrer dans un texte court quelque chose qui
s’est passé pendant la pause ou pendant l’atelier. Kalouaz vient de parler des
lycéens ou collégiens qui lui posent souvent la question de l’origine de son
inspiration, qui, comme nous le savons, n’existe pas. Il s’agit seulement
d’observation et d’attention – dans la durée on peut attraper quelque chose.
Il était en train de
passer l’aspirateur lorsque le téléphone sonna. C’était un homme avec un accent
germanique très prononcé qui voulait parler au propriétaire pour une histoire
de fiente – des pigeons polluaient son balcon. Il avait vite éconduit
l’importun. C’est alors qu’il avait repensé à cet ancien hôtel, boulevard
d’Athènes, à Marseille. L. avait évoqué des atrocités et des tortures exercées
sur des résistants pendant la 2e Guerre Mondiale. Et ce souvenir s’était
télescopé à celui du moineau avalé par le chat… Bien après le coup de
téléphone, il y repensait encore !
(Dorénavant, je n’énoncerai plus toutes les consignes ;
je vais juste retranscrire ici quelques textes, les miens et ceux de mes
collègues qui ont bien voulu m’en confier pour les publier ici.)
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