jeudi 20 février 2014

rendre compte #2


Rendre compte #2



Deux auteurs et trente profs - ici élèves – qui viennent écrire pour eux, pour se nourrir, pour partager, pour nourrir de nouveau leurs élèves. Deux groupes. Nous optons pour Ahmed Kalouaz, sa rondeur, son verbe et ses mains qui dansent, son sourire. D’emblée, nous parlons du projet « Lettre à soi l’être à l’autre » et de la thématique retenue cette année « mon école, mon quartier, mon village (ou ma ville) » pour nos élèves. Et Kalouaz de lire un premier extrait, sur une ville sans attrait, Le Creusot, que Christian Bobin décrit comme « la ville la plus moche du monde » dans Prisonnier au berceau. Première consigne : sortir sa carte bleue… Désorientés, gênés, goguenards, nous nous regardons. Nous voilà rassurés : il s’agit de tracer le contour de la carte (pour les élèves, une carte cantine fait l’affaire) pour restreindre la surface d’écriture… La première proposition : une phrase tirée au hasard du récit de Bobin : J’ai été moineau…

J’ai été moineau – petit moine à porter l’évangile 
et les psaumes du petit matin – à sillonner le ciel 
quand il n’est pas encore levé – moineau à becqueter
 les matins mauves et gris – moineau à moinelle – 
maintenant c’est fini tout ça… moineau, c’était le
 bon temps…




La deuxième consigne : tracer le contour de la carte à la verticale et une proposition encore tirée de Bobin : « L’été on met les solitaires… »


(texte non retravaillé)

L’été on met les solitaires dans des cases ; 
dans ces cases, il y a des livres qui rayonnent 
et dans ces rayons, il y a d’autres solitaires 
qui écrivent des histoires de solitaires en hiver 
et ces histoires commencent souvent par : 
L’été on met les solitaires… 
et cette phrase fait sortir des cases.




Et puis vient le temps de la lecture ; certains plus réticents, prennent des précautions oratoires – que Kalouaz balaie d’un trait d’humour ou d’une anecdote  ; il précise qu’on a droit à un joker, mais un seul pour ne pas lire ; l’une d’entre nous a toujours ce petit froncement de sourcil avant de commencer à lire ; une autre a une voix chaude et vibrante comme une corde de violoncelle ; tout le monde se plie au jeu et l’on apprend petit à petit à se connaître. La matinée avance vers le mitan du jour en même temps que la gêne s’estompe. Et puis il y a les pauses café de ce drôle de lieu. Un ancien hôtel délabré, qui abrite le CRDP et la Cinémathèque de Marseille. L’hôtel a abrité des officiers allemands pendant la guerre – des choses  pas bien belles ont eu lieu ici ; une ombre passe avec la pause. 

La consigne est une phrase de départ tirée d’une nouvelle de Raymond Carver, Les Feux : « Il était en train de passer l’aspirateur lorsque le téléphone sonna » ; il s’agit d’intégrer dans un texte court quelque chose qui s’est passé pendant la pause ou pendant l’atelier. Kalouaz vient de parler des lycéens ou collégiens qui lui posent souvent la question de l’origine de son inspiration, qui, comme nous le savons, n’existe pas. Il s’agit seulement d’observation et d’attention – dans la durée on peut attraper quelque chose.

Il était en train de passer l’aspirateur lorsque le téléphone sonna. C’était un homme avec un accent germanique très prononcé qui voulait parler au propriétaire pour une histoire de fiente – des pigeons polluaient son balcon. Il avait vite éconduit l’importun. C’est alors qu’il avait repensé à cet ancien hôtel, boulevard d’Athènes, à Marseille. L. avait évoqué des atrocités et des tortures exercées sur des résistants pendant la 2e Guerre Mondiale. Et ce souvenir s’était télescopé à celui du moineau avalé par le chat… Bien après le coup de téléphone, il y repensait encore !

(Dorénavant, je n’énoncerai plus toutes les consignes ; je vais juste retranscrire ici quelques textes, les miens et ceux de mes collègues qui ont bien voulu m’en confier pour les publier ici.)




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