vendredi 21 février 2014

rendre compte #3




rendre compte #3


Je descends du car, je porte une robe de soie usée presque transparente.

Le soleil m’éblouit, heureusement. Je ne vois pas les yeux des hommes. Des hommes du sud dans le soleil du sud. Marseille. On ne peut pas aller plus dans le sud. Sinon par la mer.

Je t’écris à toi qui es au nord de tout, pour que ces mots te portent cette image de moi dans le sud. Ne me perds pas dans tes yeux. Tu me vois dans la foule descendant les cent neuf marches – je les ai comptées -  du grand escalier de la gare Saint-Charles. Maintenant je suis au niveau de la statue des colonies en Asie. Je porte la robe rouge, celle-là même que… tu sais. Les papiers, je vais les avoir. Je te promets. Tu es mon point cardinal. Je ne peux te perdre. En attendant voici l’image…

Je descends du car, je porte une robe de soie usée presque transparente.


C’est une mauvaise idée de rendre compte. Rendre compte ou rendre des comptes ? Peut-être même rendre gorge. Certains diront que c’est exagéré, cependant… Le principe de réalité a cruellement rappelé son existence le jeudi avec la reprise des cours au collège.

D’abord, parce qu’après ces deux jours féconds, il y en a eu un troisième ; le mercredi, exceptionnellement, on n’a pas travaillé (un forum des métiers pour les 4e et les 3e qui tombait à pic) et le pli étant pris, on a répondu au besoin d’écrire le matin, de rendre compte, de retravailler quelques bidules pour en faire des textes. Ensuite, ayant noué des liens, on a eu du mal à se quitter le mardi soir. Pour la mise en commun et le partage des expériences des deux groupes, on sentait la gêne à transmettre de part et d’autre. Deux groupes bien distincts avaient partagé des choses précieuses, de l’intime et rechignaient à livrer les secrets de l’atelier à l’autre groupe. Les deux auteurs ont livré quelques propositions d’écriture mais personne n’a voulu lire. Pas d’hostilité, mais une certaine pudeur flottait dans l’air.

Rendre compte c’est donc un peu trahir son groupe. Et surtout, on a payé cher ces moments privilégiés de silence, d’écriture et d’écoute. Revenir au collège et retrouver les élèves survoltés, exprimer leur angoisse devant la copie – sur le coup, on avait trouvé malin de prévoir une évaluation dans chacune des classes pour avoir la paix, très mauvaise idée là encore – de manière bruyante et agressive.

Alors, on continue encore un peu parce que ce sont bientôt les vacances et qu’on a promis. On a le texte aussi de celle qui se fait appeler Lou Légé, qu’on trouve très beau et on s’en tiendra là pour l’instant. (Merci à elle)

Je descends du car. Je porte une robe de soie usée, presque transparente. Il se dresse là, devant moi, haut et puissant, semblant me toiser, comme pour m’épingler. Et bien te voilà ! Bientôt, je m’aventurerai dans les méandres de ce monstre qui m’offre sa gueule entrouverte. Fébrile, j’avance à pas traînants portant vers lui le fardeau de la peur et de l’incompréhension qui ne me quitteront plus. Plus tard, j’apprendrai à vivre avec la culpabilité, celle qui, sournoise, vous grignote miette à miette. Allez, approche ! Il est trop tard de toutes façons : chaque seconde passe et t’éloigne de cette sombre nuit, sous les étoiles, où tu l’as laissé te prendre. Rappelle-toi que tu l’as voulu ! Plus que quelques mètres. Je me fige devant les portes automatiques, en une seconde cette bête, l’hôpital, m’avale, frêle et effrayée.
                                                                                             Lou Légé



1 commentaire:

  1. Il y a dans votre phrasé la légèreté et l'épaisseur de l'humain tout à la fois. Je reconnais comme il est difficile de rendre compte, et comme on se sent seule alors, comme parfois, dans l'écriture.

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