rendre compte #3
Je descends du car, je
porte une robe de soie usée presque transparente.
Le soleil m’éblouit,
heureusement. Je ne vois pas les yeux des hommes. Des hommes du sud dans le
soleil du sud. Marseille. On ne peut pas aller plus dans le sud. Sinon par la
mer.
Je t’écris à toi qui es au
nord de tout, pour que ces mots te portent cette image de moi dans le sud. Ne
me perds pas dans tes yeux. Tu me vois dans la foule descendant les cent neuf
marches – je les ai comptées - du grand
escalier de la gare Saint-Charles. Maintenant je suis au niveau de la statue
des colonies en Asie. Je porte la robe rouge, celle-là même que… tu sais. Les
papiers, je vais les avoir. Je te promets. Tu es mon point cardinal. Je ne peux
te perdre. En attendant voici l’image…
Je descends du car, je
porte une robe de soie usée presque transparente.
C’est une mauvaise idée de rendre compte. Rendre compte ou
rendre des comptes ? Peut-être même rendre gorge. Certains diront que
c’est exagéré, cependant… Le principe de réalité a cruellement rappelé son
existence le jeudi avec la reprise des cours au collège.
D’abord, parce qu’après ces deux jours féconds, il y en a eu
un troisième ; le mercredi, exceptionnellement, on n’a pas travaillé (un
forum des métiers pour les 4e et les 3e qui tombait à
pic) et le pli étant pris, on a répondu au besoin d’écrire le matin, de rendre
compte, de retravailler quelques bidules pour en faire des textes. Ensuite, ayant noué des liens, on a eu du mal à se quitter le mardi soir. Pour la
mise en commun et le partage des expériences des deux groupes, on sentait la
gêne à transmettre de part et d’autre. Deux groupes bien distincts avaient
partagé des choses précieuses, de l’intime et rechignaient à livrer les
secrets de l’atelier à l’autre groupe. Les deux auteurs ont livré quelques
propositions d’écriture mais personne n’a voulu lire. Pas d’hostilité, mais une
certaine pudeur flottait dans l’air.
Rendre compte c’est donc un peu trahir son groupe. Et surtout,
on a payé cher ces moments privilégiés de silence, d’écriture et d’écoute.
Revenir au collège et retrouver les élèves survoltés, exprimer leur angoisse
devant la copie – sur le coup, on avait trouvé malin de prévoir une évaluation
dans chacune des classes pour avoir la paix, très mauvaise idée là encore – de
manière bruyante et agressive.
Alors, on continue encore un peu parce que ce sont bientôt
les vacances et qu’on a promis. On a le texte aussi de celle qui se fait
appeler Lou Légé, qu’on trouve très beau et on s’en tiendra là pour l’instant. (Merci à elle)
Je descends du
car. Je porte une robe de soie usée, presque transparente. Il se
dresse là, devant moi, haut et puissant, semblant me toiser, comme pour
m’épingler. Et bien te voilà ! Bientôt, je m’aventurerai dans les méandres
de ce monstre qui m’offre sa gueule entrouverte. Fébrile, j’avance à pas
traînants portant vers lui le fardeau de la peur et de l’incompréhension qui ne
me quitteront plus. Plus tard, j’apprendrai à vivre avec la culpabilité, celle
qui, sournoise, vous grignote miette à miette. Allez, approche ! Il est
trop tard de toutes façons : chaque seconde passe et t’éloigne de cette
sombre nuit, sous les étoiles, où tu l’as laissé te prendre. Rappelle-toi que
tu l’as voulu ! Plus que quelques mètres. Je me fige devant les portes
automatiques, en une seconde cette bête, l’hôpital, m’avale, frêle et effrayée.
Lou
Légé
Il y a dans votre phrasé la légèreté et l'épaisseur de l'humain tout à la fois. Je reconnais comme il est difficile de rendre compte, et comme on se sent seule alors, comme parfois, dans l'écriture.
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