Vers cinquante-neuf ans, à Venelles, en
passant le rond-point qui donne à gauche sur Intermarché et à droite vers
Picard, j’ai rencontré Pégase. Pégase aura été la dernière créature à se
matérialiser hors de mes rêves nocturnes. À deux-trois mètres au-dessus du sol,
le cheval est apparu, ses grandes ailes blanches battant lentement sur le ciel
gris foncé de cette journée à la météo incertaine. Il volait vers moi mais j.
J’ai continué à rouler un moment avant de rebrousser chemin pour rassurer mes
yeux. Au rond-point, j’ai tourné à droite et me suis arrêtée. Sous le cheval
blanc, il y avait un homme qui actionnait les ailes du cheval avec ses mains. Quand
j’ai voulu le prendre en photo, il a rebroussé chemin et la photo ne le montre
plus que de dos. Il est ensuite retourné à l’atelier des décors du festival
lyrique d’Aix-en-Provence. L’après-midi, j’y suis retournée espérant le revoir
mais cette fois-ci, c’était le fantôme blanc d’une chèvre ou d’une biche qui
galopait au ralenti au dessus-du sol. Une jeune femme dessous actionnait ses
pattes mais m’apercevant elle est rentrée derechef. Pas d’image.
Je ne sais plus vers quel âge j’ai rencontré Nénette mais j’étais petite.
Nénette aura été la dernière personne à se prénommer Albertine, excepté les
Albertine de papier - la prisonnière de la Recherche
de Proust et la libre Albertine Sarrazin, un temps prisonnière (lire son
superbe Journal de 1959). Pour revenir à Nénette, je n’ai su très tard
qu’elle se prénommait Albertine. Elle avait la peau très brune au point que
l’on aurait pu la prendre pour une métisse – même que née (à Ronquerolles) de
parents plus blancs que blancs cela avait fait jaser à l’époque, aux dires de ma mère interrogée. Grande amie de
ma grand-mère Suzanne qu’elle avait connue à l’atelier de couture où elles
avaient fait leur apprentissage, elle en était l’antithèse absolue. Veuve assez
jeune d’un premier mari, elle portait des robes colorées, des bijoux en or et
fumait cigarette sur cigarette, avait déjà usés deux maris avant de rencontrer
Pierrot, le dernier compagnon de sa vie – le seul que j’ai connu – et vivait en
Italie à Bordighera. À chacune de ses visites, ma grand-mère se
transformait ; toutes deux partaient en fous-rires d’adolescentes, ce qui
me les rendait très sympathiques et parait Nénette d’une aura de joie et de
fête.
En classe de quatrième, vers
douze-treize ans, nous avons eu la chance d’avoir un nouveau professeur de
sport (on ne disait pas encore EPS), Elisabeth Noël. Elle aura été la dernière
prof de collège à exiger de ses élèves qu’on l’appelle Babette et qu’on la
tutoie. Grâce à elle, j’ai appris que la danse pouvait se pratiquer sans
chaussons et sur de la musique rock. Ça nous changeait des profs de maths ou de
sciences naturelles (on ne disait pas encore SVT) que l’on chargeait de nous
faire remuer dans la cour de récréation en plus de leurs cours (me souviens que
l’une d’entre elle nous faisait placer les mains sur les épaules et décrire des
cercles avec les coudes pour avoir une belle poitrine plus tard, mesdemoiselles
– pendant que les garçons faisaient autre chose, mais où étaient-ils ?).
Oui, je crois qu’elle a été la première vraie prof d’EPS. Elle dansait avec
nous en académique violet – j’ai
voulu avoir le même très vite – et ma passion pour la danse a démarré avec elle
(davantage que les cours de danse classique pris jusqu’à lors). Elle a suscité
un engouement parmi les filles au point que nous avons formé très vite un
groupe chorégraphique.
dommage que ces belles rencontres soient dernières de leur sorte… enfin il y a tant de sortes..
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