Photo de Corinne Leroux, février 2018 |
Ces souvenirs – à peine une semaine - sont trop jeunes. Ils
ne parlent pas encore. Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? Des riches
petits déjeuners fromage kiwi café avec l’amie à l’hôtel ou des formes humaines
allongées, enduvetées, entraperçues dans un coin de certaines rames de métro –
au moins le froid extrême aura suscité des attitudes moins extrêmes à l’égard des
sans-abri…
Redresser ses colères
En ruines[1]
Difficile de cerner la forme de ce souvenir enfant, presque
un bébé, mais un bébé gigantesque, un bébé Gehry. Mercredi, nous allons à la
fondation Vuitton pour « Être moderne le MoMA à Paris ». Le souvenir
a la forme d’un vaisseau de verre et le soleil d’hiver allié à la lame d’acier
du froid le servent bien. Grâce à l’amie qui a réservé par internet, nous ne
sommes pas obligés d’entrer par l’entrée principale et de suivre cette longue
queue. Alors bien sûr il y a les contrôles, et l’humour des contrôleurs quand
on dit que l’on s’est déjà fait contrôler, « Mais que voulez-vous, on
adore ça contrôler, c’est dans notre nature de contrôler, on ne peut pas s’en
empêcher ». Nous ne les empêchons pas. Ensuite, impossible de résumer ces
huit décennies de l’histoire de la modernité à New York, juste rappeler sa
volonté de pluridisciplinarité dans les arts dès la fondation du musée, le 7
novembre 1929, à laquelle il restera toujours fidèle. S’il ne fallait garder
qu’une œuvre? Peut-être l’autoportrait de Frida Kahlo aux cheveux coupés qui
nous émeut toutes les deux. La force créatrice de cette artiste transmue la
douleur d’avoir été trahie et la fin d’un mariage en élan, en bond en avant, en
rupture radicale avec l’ancienne elle.
L’œuvre la plus forte ? Peut-être au dernier étage,
dans la dixième galerie, cette sculpture musicale : The Forty-Part Motet de l’artiste canadienne Janet Cardiff. Ce Motet à quarante voix – je retranscris
un extrait de la plaquette - propose une interprétation spatiale de Spem in Alium Nunquam Habui (« Je
n’ai jamais placé mon espérance en aucun autre que Toi »), composition du
XVIe siècle de Thomas Tallis, célèbre pour ses polyphonies. Chaque haut-parleur
diffuse l’une des quarante voix pour lesquelles la partition fut écrite. »
Et nous, nous déambulons au milieu de ces voix, nous arrêtant auprès d’une
voix, fermant les yeux auprès d’une autre, revenant au centre de la pièce… Les
visages des visiteurs sont transfigurés par cette musique vivante. Expérience à
la fois matérielle et mystique. Merveilleux souvenir que le lien vers Youtube
ne revivifie pas complètement.
C’est mon dernier jour à Paris. Il faut raccompagner l’amie
et son ami à l’hôtel Bass (pour Saül Bass, graphiste américain créateur de
nombreux génériques notamment des films d’Hitchcock ou de West Side Story ). Un petit tour à la librairie des Abbesses où
j’achète La Vie matérielle de Duras
pour relire le bloc noir dans le TGV – voir proposition François Bon sur le
Tiers-Livre.
Quand
on écrit, il y a comme un instinct qui joue. L’écrit est déjà là dans la nuit.
Écrire serait à l’extérieur de soi dans une confusion des temps : entre
écrire et avoir écrit, en avoir écrit et devoir écrire encore, entre savoir et
ignorer ce qu’il en est, partir du sens plein, en être submergé et arriver
jusqu’au non-sens. L’image du bloc noir au milieu du monde n’est pas
hasardeuse. […] Il s’agit du déchiffrement de ce qui est déjà là et qui déjà a
été fait par vous dans le sommeil de votre vie, dans son ressassement
organique, à votre insu. [2]
Laissons les temps confondre les souvenirs liés
au Moscou-Paris et à l’amie, pour qu’en sorte, peut-être, plus tard, un bloc
noir à tailler dans l’écriture. Laissons les souvenirs grandir un peu. Aujourd'hui c'est le printemps. Le cinquante-neuvième de l'amie. Tout continue aujourd'hui, tout commence aussi.
J'ai souri en te lisant, ta façon de décrire le contrôle à l'entrée du Musée, et merci pour ces souvenirs ravivés ! Quel honneur d'avoir une photo publiée avec tes textes !
RépondreSupprimermon premier commentaire a disparu... bizarre... je te remerciais et te réitérais mon admiration pour ta photo...
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