lundi 21 octobre 2013

à couper le souffle [1/4]




(Photo prise le 18/10/2013, dans la zone industrielle de Rousset)

Démarre ici le feuilleton d'une nouvelle rédigée cet été...


À couper le souffle








-       Monsieur Jean Valjean, c’est à Pontarlier que vous allez ?
-       Avec itinéraire obligé.
Je crois bien que c’est comme cela que l’homme a dit. Puis il a continué :
- Il faut que je sois en route demain à la pointe du jour. Il fait dur voyager. Si les nuits sont froides, les journées sont chaudes.
Victor Hugo, Les Misérables, II, IV.






 Le silence, enfin !
Avant, les morts étaient moins nombreux. Et quand je dis morts, je ne parle ni des plantes vertes ni des poissons rouges. Et quand je dis avant, c’était avant ! Avant d’être vieux. Quand on fait partie des survivants, il vient un âge où l’on se demande si on fait partie des privilégiés. Je crois bien que je l’avais atteint. Mes disparus m’accompagnaient à chaque randonnée. Et j’avais besoin de dialoguer avec chacun d’entre eux en tête-à-tête. Avant que les vivants ne deviennent trop bruyants et ne prennent trop de place.
Le silence ! Un silence relatif – on était quand même en pleine nature – mais un silence tout de même et surtout un plaisir absolu. Je préférais mille fois le bavardage des oiseaux à celui du groupe. Je jetai un coup d’œil en arrière pour vérifier si j’avais bien réussi à les semer. Les randonnées régulières de l’hiver m’avaient entraîné et endurci. Tandis qu’eux… Dès le petit déjeuner, ça commençait à récriminer, à râler, à regimber contre le réveil de six heures. Pire que l’armée ! La prison ! Le bagne… On n’est pas des forçats ! Au moins ils avaient retenu quelque chose des Misérables. Qu’on s’imagine un groupe de cinq adolescents – quatre garçons une fille – en rupture scolaire, déjà délinquants, en rébellion contre l’autorité et les règles, secoués par les mains de trois adultes déjà habillés-restaurés-lavés. Tandis qu’eux… Les noms d’oiseaux, ça y allait. Et je reste poli.  Au dixième jour, ils ne parvenaient toujours pas à se coucher et se lever tôt. À leur âge – sans passer pour le vieux du C’était mieux avant - je pouvais me lever tôt pour aller crapahuter dans la montagne, même couché à pas d’heure. Il ne fallait pas me le dire deux fois. Tandis qu’eux… Des gamins sans point de repère – l’un d’entre eux ne savait même pas que le soleil se levait à l’est…
Ce matin-là, je n’arrivais pas à me calmer. Je ressassais. Ce n’était pas bon ça, pas bon du tout. Je me concentrai sur le paysage. Beau à couper le souffle. C’était le meilleur moment de la journée.

[description d’un paysage à couper le souffle]

En réalité, ce qui me coupa le souffle fut une autre vision : cinq gens d’armes armés, me mettant en joue et un gradé me sommant calmement de lever les mains lentement et de ne pas opposer de résistance. On a beau avoir vu ça trop souvent dans les séries à la télévision, ça surprend. Je n’avais pas du tout envie d’opposer de résistance ni de fanfaronner. Mais je fus pris d’un fou rire irrépressible qui les déstabilisa un moment. Très court. Le gradé m’ordonna une nouvelle fois de lever les mains. Le ton était nettement plus menaçant. Je m’exécutai. Les questions viendraient plus tard. Les miennes mais surtout les leurs. 


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