mardi 22 octobre 2013

à couper le souffle [2/4]


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     R-O-U-deux S-E-A-U, Rousseau, prénom ? demanda le capitaine.
-       Jean-Jacques, répondis-je.
-       Jean-Jacques Rousseau, vous vous foutez de moi ?
-       Pas du tout capitaine. Ce n’est pas ma faute si mes parents ont trouvé amusant de me prénommer comme l’autre promeneur solitaire. D’ailleurs, j’ai pas mal de points communs avec lui sauf que moi, je n’herborise pas et je ne confesse rien.
-       On verra, on verra. Reprenons. Vous prétendez n’avoir pas vu la jeune fille ce matin avant de vous mettre en route.
-       Et ce, pour mon plus grand bonheur… Je suis parti le premier. Hier, j’avais indiqué le chemin à Jean-Michel. L’itinéraire ne posant aucun problème…


J’avais perdu la notion du temps et de l’espace. Je ne savais pas où le soleil se levait. J’ignorais depuis combien d’heures j’étais entre ces  murs. Ils m’avaient interrogé toute la journée. Ils me suspectaient d’être responsable de la disparition de Béatrice Cortez. Mon évasion matinale ne jouait pas en ma faveur. Comment pouvais-je justifier cet abandon du groupe alors qu’avec mon statut d’accompagnateur de randonnée pédestre j’étais supposer les accompagner justement ? De plus, les ados interrogés avaient relaté mes prises de bec répétées avec Béatrice dont celle de la veille au soir. Je ne pouvais nier que la gamine m’avait fait sortir de mes gonds, mais de là à… à quoi, d’ailleurs ? à la tuer ? La violer ? La séquestrer ? Tout jouait contre moi. Mon franc-parler n’avait pas arrangé les choses et ses parents ayant porté plainte contre moi – la petite peste leur avait écrit que je la harcelais sexuellement - j’avais été officiellement placé en garde à vue à 19 heures. Conduit dans une cellule de deux mètres sur trois, j’étouffais. J’avais l’impression que la peau de mon corps constituait un mur supplémentaire. Je suffoquais. Il fallait me calmer, respirer, faire le vide en moi. Je fermai les yeux.
[description d’un paysage à couper le souffle]
 Non, cette fois-ci cela ne suffirait pas. Il me fallait casser les murs des crochets, m’astreindre à visualiser ce que j’avais contemplé le matin même. Le soleil, encore bas, nimbait d’un halo très pâle  quatre rangées de collines endormies; les plus lointaines, soulevaient à peine une paupière dans une brume blanche et bleue ; devant elles, s’étiraient leurs compagnes dans des draps gris bleu ; les collines bleu vert  remuaient doucement leurs rondeurs encore enfantines ; les plus proches déjà habillées en vert foncé, se préparaient à petit-déjeuner. Je revoyais encore ses yeux charbonneux emplis de rage impuissante... Je chassai cette image. Les murs de la pièce étaient recouverts d’inscriptions et de dessins obscènes. On m’avait ramené manu militari intra muros à mon point de départ. Je n’avais pas perdu mon latin, mais le sens de l’humour certainement. Je repassai le film de ces dix jours écoulés.
Au début tout se passait comme prévu. Ils ouvraient encore leur bouche pour chanter ou parler de tout et de rien. Mais petit à petit avec l’effort, les paroles s’étaient espacées. Les yeux d’abord baissés vers les pieds, s’étaient tournés vers les reliefs et la nature de la haute Provence [paysages à couper le souffle].

-       Ce n’est pas à la petite Béatrice que vous auriez coupé le souffle plutôt ?
-       En la tuant, vous voulez dire ? Et pourquoi aurais-je fait cela ? Quelle aurait été ma motivation ?
-       Elle se serait refusée à vous, par exemple. Vous êtes veuf, m’avez-vous dit ; à cinquante ans, vous êtes encore bel homme, en forme qui plus est, ca paraît un peu bizarre que vous n’ayez pas refait votre vie…
-       Ne mêlez pas ma femme à ça ! Deux ans que Marie-Louise est décédée mais elle marche toujours à mes côtés. Croyez bien que j’ai mieux à faire que des avances à cette péronnelle aguicheuse, bavarde comme une pie, cette petite peste sans cervelle…
-       Vous dites cela avec votre tête, Monsieur Rousseau, mais ça n’empêche pas les pulsions. Nous savons tous deux comment elles s’y prennent… à quatorze ans, elles testent leur pouvoir de séduction. Vous avez dit vous même que c’était une petite allumeuse…
-       Vous vous trompez, je n’ai pas employé ce terme.
-       Exact, Monsieur Rousseau, admit-il après avoir jeté un œil sur l’écran de son ordinateur, vous avez dit aguicheuse ; c’est le jeune Yannis qui a employé le terme d’allumeuse… je cite une putain d’allumeuse

p(photo prise à Manosque, le 26/09/13)


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