Pas écrit une ligne ces derniers temps. Pas un mot. Enfin,
si, quelques mots épars, posés ici ou là, sans aucun lien. Comme des couleurs
sans ciel et sans lumière. Parmi ces mots, beaucoup commencent par L et
finissent par a. Tout le monde en parle et personne ne comprend. Quelque chose
nous échappe qui doit être dit précisément. Or justement il n’y a pas de mot
précis pour ça. Pas d’histoire précise pour ça. Ça qui se résume en Lampedusa (Leonarda, c’est autre chose, une
autre histoire de migrants qui tourne mal, mais en tant que symbole, c’est
autre chose) que nous ne savons pas dire. Nous regardons les cercueils neufs,
les petits cercueils blancs surtout, numérotés, sur lesquels reposent des ours
en peluche tout neufs, et qui tirent les larmes des grands blancs, les grands
cercueils bruns nous laissent muets et mal à l’aise. Bien sûr, s’émouvoir, nous
en sommes tous capables. Quant à se mouvoir, c’est autre chose. Nous ne savons
que fabriquer des cercueils et des images. Nous n’avons que de l’avoir alors que
nous n’aspirons qu’à être des êtres vivant avec d’autres êtres. Et il a fallu
ces centaines de morts noyés, méditerranés, médiatisés pour qu’on le voie.
Eux, au moins, ils ont voulu conjuguer leur avenir avec des
verbes d’action. Ils ont agi, ceux du sud, ceux qui n’ont rien que de faux
espoirs et de véritables illusions, ils sont partis vers le nord, avec tout
leur avoir de misère pour finir où nous allons tous. Comme Ulysse, Sindbad et
Tristan, ils ont quitté leur contrée, entrepris leur grande traversée pour
accomplir leur destin. Seulement, avec leur vie, ils ont perdu cela même qui
nous échappe, leur nom, leur histoire, le récit de leur odyssée. À Lampedusa,
le cimetière s’appelle le cimetière de l’à-peu-près. C’est insupportable. Ces réfugiés venus d’Érythrée, de
Somalie, du Ghana, qui ont travaillé comme des esclaves en rêvant d’une vie
libre, qui n’ont pas hésité à traverser le désert avant de payer leur passage et de s’abîmer en mer
n’ont pas de nom. Le sort des engloutis en mer semble presque plus enviable… N’avoir
pour dernier refuge qu’une pierre sur laquelle est à-peu-près inscrit : homme entre 20 et 25 ans, mort le 03/10/2013 ?
enfant (sexe féminin) entre 8 et 10 ans, repêché le 05/10/2013, femme entre 30
et 40 ans retrouvée le 14/10/2013… ça dépasse l’entendement.
Alors quoi ? Que faire quand il est trop tard ?
Peut-être inventer leur histoire pour les rendre plus réels ? Un récit
inventé avec précision ne vaut-il pas mieux que le non-être ? Avant le
naufrage des mots dans l’océan de l’à-peu-près ?
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