Le 05/08/04
Je viens de
recevoir et de relire votre lettre et cette fois-ci vous n’entendrez pas les
cigales mais les sirènes. (La sirène d’incendie vient de se déclencher. Cela
doit venir de l’aile des pyromanes. Ils s’amusent à faire des départs de feux,
tuant leur ennui, pensant gagner un peu de temps, ne récoltant que beaucoup
d’ennuis) Je ne vous paie pas pour entendre les cigales. C’est à vous de me les
faire entendre, Béatrice.
Vous, et
vous seule.
Au lieu de
me parler de votre précédent correspondant (quelle phrase retiendrez-vous de
moi quand vous n’aurez plus de moi qu’un sentiment de perte ?), parlez-moi
de vos amants. « J’ai tout perdu sauf le sentiment de perte » :
belle phrase, mais êtes-vous sûre qu’elle soit de lui ?… De plus, la conscience
de la perte ne nous construit pas, ne nous pousse pas vers l’avant, ne donne
pas un sens à notre vie. Selon moi, c’est plutôt la peur ou le refus de manquer
qui nous pousse à satisfaire nos désirs. Et lorsqu’ils sont comblés, on passe à
d’autres, tout aussi illusoires. Prenez la cigarette (j’en prends une
moi-même pour vous accompagner et ça m’aide à ne pas perdre le fil de mes pensées) par exemple : la première
est un rite de passage ; on la fume à l’adolescence pour appartenir à un
groupe, pour se donner une contenance ou l’assurance qu’on n’a pas encore. Ou
encore, et parce que les autres ne cessent de nous bouffer notre espace à coups
d’interdits de toutes sortes, on se construit une bulle de fumée, un espace qui
nous appartient vraiment. Quand on cesse de fumer, perd-on pour autant
l’assurance gagnée avec l’expérience acquise dans d’autres domaines ?
Autre
exemple : prenez le temps (je le prends avec vous). Quand on est jeune, on
passe son temps à le gaspiller sans compter et plus on vieillit et plus on
prend conscience qu’il nous est compté et donc précieux, plus on le perd avec
un sentiment de plénitude. Je veux dire que chaque moment perdu à rêvasser, à
ne rien faire est d’autant plus délectable qu’il est pris sur le temps qu’il
nous reste à vivre. Attendez une minute… Cet abruti de Langnon vient d’allumer
la télé avec le volume à fond…
C’est bon,
c’est réglé. Pour résumer, il me semble qu’être conscient qu’on perd quelque
chose chaque jour n’est acceptable que dans la mesure où l’on en gagne une
autre à la place. Il faut juste savoir la place qu’on est prêt à accorder pour
chaque chose et savoir faire le ménage de temps en temps.
Or, je suis
prêt à vous accorder beaucoup de place, ma chère Béatrice. Par exemple, quand
vous me confessez votre ancienne dépendance au jeu, vous m’intéressez vraiment.
Que vous vous soyez confiée à moi, dans la part de vous la plus faillible, la
plus fragile, la plus vulnérable me touche énormément. Je me doutais bien que
vous aviez été accro à quelque chose, et je crois que l’addiction au jeu est la
plus terrible qui soit. J’en connais ici.
J’aime
également le jeu. Je vous ai déjà dit mon goût pour les falsifications de
toutes sortes. J’en ai fait mon gagne-pain, légal, qui plus est. Je suis devenu
en quelque sorte un expert en faux en écriture. Lorsqu’il existe un litige sur
la validité d’un testament, ou sur l’authenticité de la signature d’un document
important, on fait appel à moi (même ici, je continue à travailler). J’ai bien
sûr profité d’abord moi-même de mon propre don et si vous continuez à vous
livrer ainsi, je vous promets de vous faire part de mon plus beau coup. D’ores
et déjà je peux vous dire que j’ai
soutiré leur trop plein de sous à des gros pleins de soupe, et qu’ils ne s’en
sont portés que mieux. Encore une preuve que prendre conscience de ce qu’on
perd n’est pas un manque à gagner. Car certaines de mes victimes ne s’en sont même pas
aperçues et d’autres se sont rendu compte qu’ils n’avaient pas vraiment besoin
de ce qu’ils avaient perdu.
Le bruit est
vraiment insupportable… je ne peux continuer à me concentrer. Il souffle en moi
un mistral de colère.
Extinction
des feux.
A l(a prochaine)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire