jeudi 6 juillet 2017

S'arrêter de fumer par correspondance/2




Société Cigalère                                                                                                       Le 09/07/04
4, rue de la Cartoucherie
18018 Dessendre-en-Braise




Cher Al. Dante,



Mes oreilles de bienveillante Béatrice vous auraient-elles bien entendu ?
Votre vie ne serait qu’une vaste fumisterie ?
Eh bien, sachez, cher Al, qu’aujourd’hui commence votre voyage vers votre Vita Nova.

Car, que vous réussissiez ou non, que vous fassiez le deuil de vos tendres cibiches ou que vous décidiez (oui, j’ai bien dit décidiez – vous allez vers votre décision Al) de rester après tout un fumeur, vous ne serez plus jamais le même à la fin de notre contrat. Rompu ou honoré.

Car du temps aura passé, Al.
Des cibiches auront grillé. Elles se seront consumées et des pensées, Al, des pensées aussi.
Et cependant que vos pensées accompagneront la fumée de vos chimères et de vos raisons, des mots circuleront.
Envoyez-les moi, Al, ces mots que vous exhalez derrière la fumée de vos cibiches.

Car notre thérapie, qui découle en ligne directe des travaux de Boris Stroganoff, vous donne les moyens de libérer votre créativité en vous libérant de votre comportement addictif.

Car, cher Al, pourquoi perdre du temps lorsqu’on peut se réveiller des mots plein la bouche ?
Laissez-les vous aimer autant que vos cibiches et me raconter l’histoire de votre vie.

Bonjour de cœur


Béatrice Tortellini





Premier cercle, le 10/07/04




Chère Béatrice,

Ça m’a fait plaisir de recevoir votre réponse aussi rapidement, mais j’aimerais en avoir un peu plus pour mon argent et il va falloir dépasser la page recto verso, et pas le blabla habituel pour gogo bobo. Pour l’instant c’est moi qui paie de ma personne. Que les choses soient claires, j’aime bien que cela soit donnant-donnant : l’histoire de ma vie, je veux bien vous la livrer mais à condition que vous aussi, vous vous mettiez en frais. Alors, oui, je suis gourmand, j’aime tous les plaisirs de la vie, et j’en use et en abuse. Qu’en dirait votre Boris Stroganoff ? Qui est-il, d’ailleurs ?  Je me suis toujours méfié des psys, alors pas trop de jargon de cet acabit, d’accord ? Évitez les conneries du style« libérez votre créativité » ou « laissez les mots vous aimer » car je ne suis pas client. Comprenez bien qu’il est vital pour moi d’arrêter de fumer. Et je veux bien voir partir mes économies en fumée, d’une manière ou d’une autre, mais pas pour du vent, compris ?

Je me lance, mais sachez que je suis un mec assez décousu ; en outre, il règne un bruit dantesque ici, alors ça facilite pas les choses. Oui, ma vie est une vaste fumisterie : autodidacte, je n’ai pas connu ma mère, ceci n’expliquant pas cela, mais c’est venu comme cela. Mon premier cri : un long « i » étranglé en « ks » sous le cordon ombilical - on appelle ça un accouchement sous X- ma mère a pleuré quand on lui a annoncé que je ne survivrais probablement pas, puis a souri en pensant aux parents adoptifs qui ne profiteraient pas à bon compte du fruit de ses entrailles douloureuses. Ma mère, je ne lui en veux pas et n’ai jamais fait de recherches pour la retrouver : c’est juste pour mettre de l’eau au moulin de Boris et revenir au sujet qui m’intéresse : je n’ai pas été nourri au sein et depuis j’éprouve le désir compulsif de mettre quelque chose de bon et de rond entre mes lèvres.

J’ai eu dans ma bouche des seins de toute taille, de toute forme, de toute couleur, de toute texture et je les ai tous respectés, encensés, idolâtrés. Je ne peux en dire de même de leurs propriétaires, même si j’en ai aimé certaines. Quant aux cigarettes, j’en porte les stigmates depuis ma naissance sous la forme de deux taches rousses entre le pouce et l’index et elles sont venues s’y nicher tout naturellement comme des orphelines en quête de chaleur.

J’ai commencé à treize ans, avec mon pote Lulu. Lulu, c’est ma première renaissance (j’aurai l’occasion de vous en reparler plus tard, si vous êtes sage). De mes premier et moyen âges, il n’y a pas grand chose à dire. La famille qui m’a adopté s’est très vite désintéressée de ma petite personne lorsqu’elle a été en mesure de procréer par elle-même (quelques mois après mon arrivée) et avec un taux de natalité assez remarquable, je dois le reconnaître, puisqu’à l’âge de ma première cigarette j’avais déjà douze frères et sœurs dont une paire de jumelles. Je n’ai pas été maltraité ni plus malheureux qu’un autre, Tout cela nous emmène trop loin.
A vous de lâcher un peu de lest.

Etes-vous blonde, brune ou rousse ? Vous peignez-vous les ongles des orteils ? Ne portez-vous pour dormir que des créoles aux oreilles et Shalimar entre les seins? Etes-vous une fumeuse désintoxiquée ou une désintoxiqueuse fumiste ? Faites-vous ce job pour vous remplumer ou par amour des mots et des fumeurs ?
Au cas où cela vous intéresserait, j’ai fumé un paquet entier depuis hier, mais j’en ai racheté un autre, et il m’en reste donc quatre vingt dix-neuf. Dois-je vous préciser à chaque fois ma consommation de tiges de huit ?

            C’est pas tout ça mais j’ai du travail, moi.

            Ciao bella,

                                                                                                                                Al Dante.


Texte: Béatrice Tortellini et Christine Zottele
Images: Léo Perriguey




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