Société Cigalère
Le 09/07/04
4, rue de la Cartoucherie
18018 Dessendre-en-Braise
Cher Al. Dante,
Mes oreilles de bienveillante Béatrice vous auraient-elles
bien entendu ?
Votre vie ne serait qu’une vaste fumisterie ?
Eh bien, sachez, cher Al, qu’aujourd’hui commence votre
voyage vers votre Vita Nova.
Car, que vous réussissiez ou non, que vous fassiez le deuil
de vos tendres cibiches ou que vous décidiez (oui, j’ai bien dit décidiez – vous allez vers votre décision Al) de rester après tout
un fumeur, vous ne serez plus jamais le même à la fin de notre contrat. Rompu
ou honoré.
Car du temps aura passé, Al.
Des cibiches auront grillé. Elles se seront consumées et des
pensées, Al, des pensées aussi.
Et cependant que vos pensées accompagneront la fumée de vos
chimères et de vos raisons, des mots circuleront.
Envoyez-les moi, Al, ces mots que vous exhalez derrière la
fumée de vos cibiches.
Car notre thérapie, qui découle en ligne directe des travaux
de Boris Stroganoff, vous donne les moyens de libérer votre créativité en vous
libérant de votre comportement addictif.
Car, cher Al, pourquoi perdre du temps lorsqu’on peut se
réveiller des mots plein la bouche ?
Laissez-les vous aimer autant que vos cibiches et me
raconter l’histoire de votre vie.
Bonjour de cœur
Béatrice
Tortellini
Premier
cercle, le 10/07/04
Chère Béatrice,
Ça m’a fait plaisir de recevoir votre réponse aussi
rapidement, mais j’aimerais en avoir un peu plus pour mon argent et il va
falloir dépasser la page recto verso, et pas le blabla habituel pour gogo bobo.
Pour l’instant c’est moi qui paie de
ma personne. Que les choses soient claires, j’aime bien que cela soit
donnant-donnant : l’histoire de ma vie, je veux bien vous la livrer mais à
condition que vous aussi, vous vous mettiez en frais. Alors, oui, je suis
gourmand, j’aime tous les plaisirs de la vie, et j’en use et en abuse. Qu’en
dirait votre Boris Stroganoff ? Qui est-il, d’ailleurs ? Je me suis toujours méfié des psys, alors pas
trop de jargon de cet acabit, d’accord ? Évitez les conneries du
style« libérez votre créativité » ou « laissez les mots vous
aimer » car je ne suis pas client. Comprenez bien qu’il est vital pour moi
d’arrêter de fumer. Et je veux bien voir partir mes économies en fumée, d’une
manière ou d’une autre, mais pas pour du vent, compris ?
Je me lance, mais sachez que je suis un mec assez décousu ;
en outre, il règne un bruit dantesque ici, alors ça facilite pas les choses.
Oui, ma vie est une vaste fumisterie : autodidacte, je n’ai pas connu ma
mère, ceci n’expliquant pas cela, mais c’est venu comme cela. Mon premier
cri : un long « i » étranglé en « ks » sous le cordon
ombilical - on appelle ça un accouchement sous X- ma mère a pleuré quand on lui
a annoncé que je ne survivrais probablement pas, puis a souri en pensant aux
parents adoptifs qui ne profiteraient pas à bon compte du fruit de ses
entrailles douloureuses. Ma mère, je ne lui en veux pas et n’ai jamais fait de
recherches pour la retrouver : c’est juste pour mettre de l’eau au moulin de
Boris et revenir au sujet qui m’intéresse : je n’ai pas été nourri au sein et
depuis j’éprouve le désir compulsif de mettre quelque chose de bon et de rond
entre mes lèvres.
J’ai eu dans ma bouche des seins de toute taille, de toute
forme, de toute couleur, de toute texture et je les ai tous respectés,
encensés, idolâtrés. Je ne peux en dire de même de leurs propriétaires, même si
j’en ai aimé certaines. Quant aux cigarettes, j’en porte les stigmates depuis
ma naissance sous la forme de deux taches rousses entre le pouce et l’index et
elles sont venues s’y nicher tout naturellement comme des orphelines en quête
de chaleur.
J’ai commencé à treize ans, avec mon pote Lulu. Lulu, c’est
ma première renaissance (j’aurai l’occasion de vous en reparler plus tard, si
vous êtes sage). De mes premier et moyen âges, il n’y a pas grand chose à dire.
La famille qui m’a adopté s’est très vite désintéressée de ma petite personne
lorsqu’elle a été en mesure de procréer par elle-même (quelques mois après mon
arrivée) et avec un taux de natalité assez remarquable, je dois le reconnaître,
puisqu’à l’âge de ma première cigarette j’avais déjà douze frères et sœurs dont
une paire de jumelles. Je n’ai pas été maltraité ni plus malheureux qu’un
autre, Tout cela nous emmène trop loin.
A vous de lâcher un peu de lest.
Etes-vous blonde, brune ou rousse ? Vous peignez-vous
les ongles des orteils ? Ne portez-vous pour dormir que des créoles aux
oreilles et Shalimar entre les
seins? Etes-vous une fumeuse désintoxiquée ou une désintoxiqueuse fumiste ?
Faites-vous ce job pour vous remplumer ou par amour des mots et des
fumeurs ?
Au cas où cela vous intéresserait, j’ai fumé un paquet
entier depuis hier, mais j’en ai racheté un autre, et il m’en reste donc quatre
vingt dix-neuf. Dois-je vous préciser à chaque fois ma consommation de tiges de
huit ?
C’est pas
tout ça mais j’ai du travail, moi.
Ciao bella,
Al
Dante.
Texte: Béatrice Tortellini et Christine Zottele
Images: Léo Perriguey
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