lundi 24 juillet 2017

S'arrêter de fumer par correspondance / 6



                                                                                      Réponse au troisième cercle, le 30/07/04





            Cher Al,

            Désolée, cher Al, pour ce long retard : j’ai été arrêtée pour maladie.

            On m’a dit que vous avez refusé une remplaçante. Cela m’a fait très plaisir et a probablement contribué à hâter ma guérison.

            Pour aider les gens à s’arrêter de fumer, pas question de nous arrêter, dit la Société. A juste raison, peut-être. Je vous imaginais fumant cigarette sur cigarette pour tromper une attente qu’une maison d’arrêt ne peut rendre que plus cruelle.

            Mais votre décision m’a emplie d’une certaine fierté, je dois dire, car elle allait dans le sens d’une de mes convictions : l’attente a du bon. Et si fumer peut nuire aux spermatozoïdes, « le spermatozoïde est très, très long, et véritablement saisi d’une idée fixe et l’ovule exprime l’ennui et l’harmonie à la fois. » C’est Michaux qui l’a dit, mon chou. Faut prendre son temps et du bon. Vous voyez, moi aussi, je peux envoyer valser les règles. Si c’est pour aller dans le bon sens…

            Allez-vous dans le bon sens, Al ?

            Durant mon arrêt maladie, j’ai beaucoup réfléchi à votre histoire, à Lulu, à Dufournel, à vous. Et je me demande à qui j’écris aujourd’hui. Puisque vous pratiquez si bien le mensonge, vous pourriez tout aussi bien être un Dufournel qui se fait passer pour un séduisant Al Dante. Est-ce cela que voulez insinuer ? Avez-vous peur à ce point de ressembler au meurtrier de votre ami ?

            Vos lettres vous rendent si réel, Al, que je ne puis croire qu’un autre que vous s’y cache. Et puis vous me parlez si gentiment. Votre gentillesse me touche, mais je ne suis pas la victime que vous pensez. Oui, j’ai des faiblesses. Celles de tout homme qui a peur de la solitude et de la mort. Cesser de fumer n’empêche pas la mort. Certes, elle peut la retarder, c’est scientifiquement prouvé, mais vous n’arrêterez pas celle qui a emporté Lulu, encore moins cette chaîne pourrie de bourreaux et de victimes qui sévissent à chaque coin de rue. Comment vous en sortir ? C’est à vous de me le dire et vous ne le pourrez que lorsque cette manche qui essuie le miroir sera si usée qu’on en verra la trame. Je vous attends. Ne vous fâchez pas pour mes métaphores, Al. Elles me sont un précieux trésor, même si vous pensez qu’elles cachent plus qu’elles n’élaborent.

            La métaphore m’a sauvée et je ne saurais la renier si vous voulez m’aider à vous sauver. N’allez pas l’imaginer comme un moyen de contourner la censure de La Cigalère (comme vous y allez fort !) La métaphore est de mise à La Cigalère. Je vous écris d’une ancienne maison de repos qui s’appelait Les Cigales et que Boris a jugé bon de rebaptiser car il n’y a plus de cigales ici et il ne voyait pas dans leur nom de transport de sens suffisamment intéressant pour l’appliquer à son entreprise. Ainsi vont les choses.

            Et lorsque ses employés ont droit à une R. F., c’est que, probablement, ils ont usé d’une métaphore pas assez métaphorique. Ou pas assez thérapeutique. C’est-à-dire, n’offrant pas au correspondant un miroir suffisamment attirant pour qu’il puisse s’y retrouver.

            Quelle drôle de vie, n’est-ce pas ? Est mieux que chienne de vie.
            Ainsi vont les choses, Al. Que puis-je vous dire de plus ?

            Que Cigalère qui associe la cigarette à la galère inspire de suite confiance à qui veut s’arrêter de fumer. Mais faut-il s’arrêter là ? Non, Al. Il faut continuer de me faire confiance. Laissez  parler cet autre qui prend votre place. Je n’ai plus peur. Je sais que vous êtes là.

            Bien à vous

            Béatrice

Photo: Leo Perriguey
Texte: Béatrice Tortellini





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