Réponse au troisième cercle, le 30/07/04
Cher Al,
Désolée,
cher Al, pour ce long retard : j’ai été arrêtée pour maladie.
On m’a dit
que vous avez refusé une remplaçante. Cela m’a fait très plaisir et a
probablement contribué à hâter ma guérison.
Pour aider
les gens à s’arrêter de fumer, pas question de nous arrêter, dit la Société. A
juste raison, peut-être. Je vous imaginais fumant cigarette sur cigarette pour
tromper une attente qu’une maison d’arrêt ne peut rendre que plus cruelle.
Mais votre
décision m’a emplie d’une certaine fierté, je dois dire, car elle allait dans
le sens d’une de mes convictions : l’attente a du bon. Et si fumer peut
nuire aux spermatozoïdes, « le spermatozoïde est très, très long, et
véritablement saisi d’une idée fixe et l’ovule exprime l’ennui et l’harmonie à
la fois. » C’est Michaux qui l’a dit, mon chou. Faut prendre son temps et
du bon. Vous voyez, moi aussi, je peux envoyer valser les règles. Si c’est pour
aller dans le bon sens…
Allez-vous
dans le bon sens, Al ?
Durant mon
arrêt maladie, j’ai beaucoup réfléchi à votre histoire, à Lulu, à Dufournel, à
vous. Et je me demande à qui j’écris aujourd’hui. Puisque vous pratiquez si
bien le mensonge, vous pourriez tout aussi bien être un Dufournel qui se fait
passer pour un séduisant Al Dante. Est-ce cela que voulez insinuer ? Avez-vous
peur à ce point de ressembler au meurtrier de votre ami ?
Vos lettres
vous rendent si réel, Al, que je ne puis croire qu’un autre que vous s’y cache.
Et puis vous me parlez si gentiment. Votre gentillesse me touche, mais je ne
suis pas la victime que vous pensez. Oui, j’ai des faiblesses. Celles de tout
homme qui a peur de la solitude et de la mort. Cesser de fumer n’empêche pas la
mort. Certes, elle peut la retarder, c’est scientifiquement prouvé, mais vous
n’arrêterez pas celle qui a emporté Lulu, encore moins cette chaîne pourrie de
bourreaux et de victimes qui sévissent à chaque coin de rue. Comment vous en
sortir ? C’est à vous de me le dire et vous ne le pourrez que lorsque
cette manche qui essuie le miroir sera si usée qu’on en verra la trame. Je vous
attends. Ne vous fâchez pas pour mes métaphores, Al. Elles me sont un précieux
trésor, même si vous pensez qu’elles cachent plus qu’elles n’élaborent.
La
métaphore m’a sauvée et je ne saurais la renier si vous voulez m’aider à vous
sauver. N’allez pas l’imaginer comme un moyen de contourner la censure de La Cigalère (comme vous y
allez fort !) La métaphore est de mise à La Cigalère. Je vous écris d’une
ancienne maison de repos qui s’appelait Les Cigales et que Boris a jugé
bon de rebaptiser car il n’y a plus de cigales ici et il ne voyait pas dans
leur nom de transport de sens suffisamment intéressant pour l’appliquer à son
entreprise. Ainsi vont les choses.
Et lorsque
ses employés ont droit à une R. F., c’est que, probablement, ils ont usé d’une
métaphore pas assez métaphorique. Ou pas assez thérapeutique. C’est-à-dire,
n’offrant pas au correspondant un miroir suffisamment attirant pour qu’il
puisse s’y retrouver.
Quelle
drôle de vie, n’est-ce pas ? Est mieux que chienne de vie.
Ainsi vont
les choses, Al. Que puis-je vous dire de plus ?
Que
Cigalère qui associe la cigarette à la galère inspire de suite confiance à qui
veut s’arrêter de fumer. Mais faut-il s’arrêter là ? Non, Al. Il faut
continuer de me faire confiance. Laissez
parler cet autre qui prend votre place. Je n’ai plus peur. Je sais que
vous êtes là.
Bien à vous
Béatrice
Photo: Leo Perriguey
Texte: Béatrice Tortellini
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