Cinquième
cercle, le 04/08/2004
Ces captifs du limon
disent : « Tristes nous fûmes
Dans cet air doux
qu’égayait le soleil,
Car nous portions en
nous de moroses fumées
Merde,
qu’est-ce que vous foutez, Béatrice ?
Embourbé
dans le marais fangeux du Styx, j’essaie de sortir la tête pour prendre une
goulée d’air et vous me laissez m’enfoncer dans ma bile noire. Vous ne me
tendez pas la main, Béatrice, mais je ne devrais pas en être étonné. Rien de
nouveau sous le soleil, encore moins à l’ombre.
Ici aussi,
la canicule échauffe les esprits et c’est même pire que dehors : on prend
la mouche pour un rien, on se bat et on s’entretue. J’ai la haine pour Langnon
(le détenu avec qui je cohabite) qui laisse traîner un peu partout ses fumantes
nauséabondes et qui laisse beugler sa
télé toute la journée. Impossible de lui faire entendre raison. La
conférencière serait bien surprise de savoir que pour revenir sur soi-même ici,
il faut d’abord faire un détour par le mitard après avoir foncé dans le mur.
Devinez... Un coup de boule et Langnon étendu sur le carreau à hurler à
l’assassinat. Trois jours de cachot ! Au début, l’obscurité et le silence
sont reposants mais on a vite fait le tour de soi quand on est une pauvre
merde. On préfère s’éloigner de soi tellement ça pue. Alors, je pensais à vous,
à votre lettre qui m’attendrait sûrement à la sortie. Et puis quand je
réintègre ma cellule : rien!
Mais
qu’est-ce que vous branlez, à la fin ? C’est quoi, ce travail ? Ne me
dites pas que vous êtes encore souffrante… ou pire, en vacances…
Je vous
écris de la bibliothèque (vous ai-je déjà dit qu’on m’avait octroyé la faveur
d’y travailler ? Maintenant, on m’a laissé entendre qu’à la moindre
incartade de ma part, je réintégrais l’atelier de fabrication des allumettes)
où je trouve un peu de répit. Je feuillette des livres et m’offre le luxe de ne
pas les lire entièrement. Je leur donne quelques pages pour me convaincre de
les lire intégralement… grand luxe. A propos, savez-vous que le bouquin le plus
demandé est une méthode pour en finir avec la cigarette ?
Ici, ça
coûte encore plus cher et celui qui ne reçoit pas de mandat de l’extérieur ne
peut donc pas cantiner et continuer à alimenter son vice. Moi, j’ai un petit
pécule bien géré qui continue à me faire bien vivre. Le bouquin ne fait que
passer entre mes mains. Sitôt restitué, sitôt réemprunté. Il paraît que ça
marche, mais je n’ai même pas envie de le parcourir car cela me priverait de ma
correspondance avec vous… Enfin, quand je dis ça, il faudrait que vous me répondiez,
d’abord. Me faire mijoter à petit feu, c’est ça votre méthode ?
Bon,
j’arrête pour aujourd’hui, car je sens la colère qui remonte, qui bouillonne et
me submerge. Pas facile de traverser ce bourbier…
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