vendredi 27 février 2015

Choses qui affligent



Comment que dire ? Dire alors qu’ils détruisent le dire même, le dit de la beauté, la beauté… à coups de masse, ces hommes – ils portent encore ce nom –  les appeler sous-hommes ou connards, repousser cette tentation grande qui soulage à peine à un instant – ces hommes donc malgré que,  qui entrent dans ce musée à Mossoul/ Ninive pour saccager des sculptures de divinités humainement belles, je ne comprends même pas ce qui les meut. Car détruire ce qu’il y a eu avant leur vérité, n’est-ce pas l’acte même d’accréditer que quelque chose a eu lieu avant. Quelque chose d’assez puissant, d’assez beau, d’assez dangereux pour être détruit. Donc attirer l’attention sur cet acte ne fait que renforcer notre incrédulité de spectateurs ? Détruire l’humanité ou les anciennes divinités, ça se filme et se montre aux incrédules, aux impies mais aussi aux croyants ? Or comment que croire après ça ?

Déesse de la pluie abattue
j’en appelle à toi pour t’abattre sur eux
pour te sentir toujours vivante et bienfaisante
plus que pour les mettre à terre
à toi aussi dieu de l’orage au corps de taureau
rends-les stériles, eux qui le sont déjà
de leur terreur atterrante
tout de même
choses qui affligent


Chose qui attriste…
Comment que dire aussi devant cette absence soudaine d’Anna ? Mauvaise surprise du matin ! Après avoir lu la dédicace pour Anna de Francis Royo à « La Source » :

à ce point aveuglant de soif et de désir le jour amorce l’offrande d’une prière

saisie par l’urgence de la lire, de lire son Journal de l’aube, une fenêtre s’ouvre pour me demander mon nom et mon mot de passe, quoi ?! Je ne passe plus ? On m’interdit l’accès à la beauté de sa langue, à sa parole que je fais si souvent mienne en lieu et place de mes babils-balbutiements. J’appelle au secours l’ami Cosaque commun qui m’annonce que sans pouvoir m’informer de tes raisons, tu arrêtes ton blog. Oui à toi, déesse de la pluie des mots de Ninive et d’ailleurs,  je peux m’adresser directement, car humaine tu es, tu as des yeux pour lire et un corps pour écrire.  Tu liras peut-être cette tentative maladroite de te faire fléchir… Tu ne peux détruire ce que tu nous as fait partager. Tu es un peu notre rêve de pierre, la pierre en moins le désir en plus, alors s’il te plaît Anna, écris, écris-nous, reviens-nous. Ou alors abats-toi sur la terre et noie nous.


Dernière chose qui afflige, d’une autre manière. Cette sotte et ridicule histoire de robe qui court sur les réseaux sociaux. J’en sais une bien plus belle, de robe. C’est une histoire que Martine Sonnet a raconté à Christine Jeanney qui me l’a rapportée. C’est une robe qu’on revêt pour écrire. Une robe qui change de couleur aussi selon ce qu’on écrit. Aujourd’hui nos robes sont ternes. Comment que dire ?


mercredi 25 février 2015

Paysages définis


Photo Philippe Marc, Marseille, La Friche-Belle-de-mai, février 2015


Paysage : mer agitée en tempête dans un verre d’eau





Paysage : pays sage de passage dans la ville d’enfance


Photo Philippe Marc, Marseille (Mucem), février 2015


Paysage : petite flaque au soleil offrant paix au visage


Photo Philippe Marc, Marseille (La Friche), février 2015


Paysage : ravage évité de cités en rage


Photo Philippe Marc, Marseille (La Friche), février 2015


Paysage : face ravagée du paisible âge ou face paisible de l’âge ravagé.


Photo Philippe Marc, Marseille, février 2015



Paysage : vrai mirage dessiné/réalisé par paysagiste dépaysé en pays cage.


Photo Philippe Marc, Marseille, La Friche, février 2015



mardi 24 février 2015

habiter là aussi


gare AixTGV (prise de mon téléphone)


Habiter là aussi.
…une route au petit matin, quand il reste un peu de nuit, direction Pertuis, une route mouillée, éclaboussée de phares aveuglants – habiter les lumières jaunes plutôt que les blanches, habiter un court moment l’habitacle des voitures d’en face, celles qui vont dans le mauvais sens à cette heure – trafic dense jusqu’à Marseille – habiter le regard halluciné de l’autre en face, un bref instant, croiser les regards et intervertir les corps, les déplacements, changer de direction.



Habiter là aussi.
… le TGV 2912, voiture 17, place 22 de 9h20 arrivant à Paris Gare de Lyon à 12h23. Habiter le défilement des paysages traversés comme un film documentaire sur « l’expression de la vitesse dans la peinture moderne » qu’on regarderait sans le son. Habiter les lignes du livre ouvert entre les mains vers lequel on revient par intermittence. Habiter une autre histoire pour déshabiter la sienne, déshabiter son corps. Déshabiter son corps à soi, son corps assis, trop assis. Soudain, le corps réclame le mouvement. Réhabiter son corps – le réhabiliter aussi - marchant dans le sens de la marche du train. Déséquilibre dû à la différence entre les deux vitesses de déplacement. Vertige assez léger pour être agréable.



Habiter là aussi.
… la lecture à voix haute de cette prof de russe que l’on ne connaît pas et qui parle de maisons – en russe il existe trois mots pour l’exprimer : la maison où l’on vit, la maison où l’on va, et les esprits de la maison – écouter la voix sourde des tréfonds à la fois exaltés et angoissés de cette femme qu’on imagine sans peine s’appeler Anna. Habiter la tristesse et les yeux fatigués d’Anna qui ne s’appelle pas Anna. Habiter chacune des voix lisant autour de la grande table. Les habiter vraiment.
Et à son tour, habiter son je.

Habiter là aussi.


lundi 23 février 2015

mort sans

Photo Philippe Marc, Marseille, février 2015



« Mort sans avoir achevé sa vie » s’inscrivait en lettres noires sur granit gris.
Non seulement ça commençait mal mais ça continuait ainsi et ainsi. « Mort sans avoir achevé sa vie ». Une litanie d’épitaphes identiques sinon les noms et les dates entre crochets. Une tombe succédait à une autre. Une tristesse morne s’ajoutait à une autre tristesse morne. Et mon pas s’allongeait le long des allées interminables du cimetière des inachevés. Tout au bout de la dernière allée, enfin, une pierre blanche près d’un groupe de cyprès. En lettres dorées, l’épitaphe ironisait : « Il a vécu une vie pleine et entière, le créateur du cimetière des inachevés ; son œuvre achevée, il n’a cependant pas eu le temps de finir sa phrase… »


[rêve inachevé]