samedi 31 mai 2014

comme par hasard #2

Photo Philippe Marc (icrem)




C'était Ca. qui avait eu l'idée de réunir pour son anniversaire les anciens électrons flous et les anciens du Phacochère (formant le gros du noyau des nouveaux électrons flous). Il y avait aussi les amis de C. et de P. qui assistaient régulièrement aux spectacles, leurs enfants grandis et un superbe chien en après-skis à longs poils, dont nous apprîmes un peu plus tard la marque: un cocker américain. Nous, les trois ex-électrons flous, tachions de ne pas faire tache au milieu du groupe.

Cl., nouvel électron qu'on avait vu jouer dans la dernière création de Ca., sortit sa guitare et bientôt un cercle se forma autour de lui. Il commença à jouer des airs de Brassens que tout le monde chantait. La jolie fleur dans une peau de vache, une jolie vache déguisée en fleur... assise à côté de lui, ne se rendait pas compte du comique de situation. Cl. chantait en lui lançant des oeillades enamourées tandis qu'elle chantait en croisant haut ses jambes gainées de noir  allumant le désir de tous les mâles de la soirée.  P. était en grande discussion avec G. et cela gênait parfois Cl. qui se tournait vers eux ostensiblement. C'est qu'il nous régalait d'un véritable tour de chant, nous présentant ses compositions, conquérant un auditoire déjà conquis. Il y aurait beaucoup à dire sur ses textes... inégaux disons, mais l'essentiel était la bonne humeur générale. Je dois avouer que j'y participais de bon coeur jusqu'au moment où la carte géante parvint entre mes mains.

C'était une de ces grandes cartes d'anniversaire "humoristiques" que Ca. avait fait circuler pour qu'on écrive tous quelque chose. Exercice difficile que je prenais toujours un peu trop au sérieux. Assise par terre à l'écart, le groupe d'adultes me sembla aussi incongru qu'improbable. Désormais hors du groupe, j'assistais à un spectacle où chacun jouait sagement son rôle: la séductrice séduisait, le mari délaissé encore amoureux regardait amoureusement sa femme, les parents du cocker après-skis s'occupaient tendrement de leur nouvel enfant, les comédiens jouaient la comédie, P. et G. discutaient avec animation... Tout me semblait faux. J'écrivis quelque chose de très bête et très joli, passai la carte à la suivante et rejoignis le groupe.


J'aurais voulu qu'on danse. On continua à chanter. Je n'étais plus dedans. Un ex phacochère nouvel électron flou voulut danser le madison. 

vendredi 30 mai 2014

comme par hasard

Photo Philippe Marc


Je m'essaie à mon tour à un exercice de rétrospection après avoir lu hier, dans la même journée, comme par hasard, la proposition d'écriture de François Bon à partir du Journal de Kafka et une page du Don Juan de Peter Handke:

Pour provoquer le surgissement de ces aspérités du quotidien qui font image, on va proposer une contrainte : prendre les sept derniers jours écoulés, et isoler de chaque jour un de ces instants, parmi la profusion des souvenirs récents pour les jours les plus proches, depuis l’effacement mémoriel pour les jours déjà plus lointains. Se forcer à trouver, dans la répétition du quotidien, pour chacun des sept derniers jours, une de ces aspérités qui font mémoire par l’image, et ressenties comme un objet singulier.
[...]
Insister que chacun des 7 fragments qui va s’écrire va représenter un défi dont la règle n’appartiendra qu’à lui seul : aller à la rencontre d’un souvenir survivant à mesure qu’on s’enfonce dans le temps, et l’oubli même à 7 jours de distance, et – au contraire – extraire du singulier depuis la profusion qui reste de la veille et de l’avant-veille.
            François Bon, atelier | écrire avec Kafka, trois exercices (plus un), le tiers livre


Pour ce qui est de son récit proprement dit, le soir de son arrivée à Port-Royal des champs, Don Juan le commença, par le même jour de semaine, une semaine auparavant. Il était alors encore à Tiflis, en Géorgie. Ce n'est pas l'histoire d'une vie entière qu'il me servit là, ni même disons celle de l'année passée, mais uniquement celle des tout derniers sept jours, et ainsi de même le lendemain, jour après jour. Ce lundi-là, par exemple, ce fut le lundi de la semaine précédente qui lui revint en mémoire, et de façon si incomparablement aiguë et façon tellement évidente et amène, comme ce ne pouvait guère avoir été le cas pour le mardi passé ou disons pour le lundi du mois précédent et ainsi de suite, à remonter la mémoire.
"Lundi il y a une semaine" - et déjà les images arrivaient, les images de la journée tout entière, non sollicitées - les images du jour d'il y a juste sept jours se réveillaient, telles qu'elles ne s'étaient pas montrées une semaine plus tôt, prenaient leur place, s'associaient, calmes sans le tam-tam du souvenir convoqué exprès qui en devient sonore, et si c'était le cas, alors au rythme d'une succession tranquille, sans emboîtements, grandes et petites choses, équivalentes. Plus rien de grand mais plus rien non plus de petit.
                                               Peter HANDKE, Don Juan (raconté par lui-même), trad. de l'allemand (Autriche) par Georges-Arthur Goldschmidt, éd. Gallimard, 2006, Folio 5743, pp. 37-38.

À la première lecture - Handke avant Bon - la coïncidence me semblait évidente; après relecture des deux passages, c'est la divergence qui me saute aux yeux: excepté la rétroacitvité des sept jours, il y a chez don Juan, le libre flux du souvenir revenant de lui-même et son corollaire, une succession d'images dont aucune n'émerge , alors que dans la proposition de Bon, c'est le caractère délibéré d'extraire et de mettre en relief de la journée d'il y a sept jours, un seul moment, une toute petite aspérité du réel ordinaire. Le fragment versus le récit fleuve. La succession plate versus le relief sonore. Cependant, dans les deux cas, sur le terrain du réel, le fantastique advient...

J'écris ce vendredi 30 mai (pont de l'Ascension)

Il y a sept jours: vendredi 23 mai, semaine B: 6F, 6E le matin, 5G, 5E, remédiation 6G, remédiation 6E. Journée sereine commençant: avec les 6E, fin du film de Miyazaki "Le voyage de Chihiro" - "Commence par apprendre à finir ce que tu as commencé" l'injonction de la sorcière Chubayaga résonne encore dans ma tête. Soleil éblouissant sur le parking du collège.

Pomme et sandwich sur un autre parking de la Tour. Sortie du collège, du bruit, des bavardages élèves et collègues. Recharge de paix, de bleu, de silence. Recueil de Haïkus de Sôseki dans le sac. Se préparer au pire: les 5G à 12h40. Le silence impossible. Ne pas y penser, vraiment ne pas y penser, ne pas y penser. 5/7/5 syllabes. Fixer un moment évanescent.

Croquer la pomme et le bleu du ciel. Vol en arc de cercle d'une tourterelle, immobilisation de l'oiseau à deux ou trois mètres au-dessus de moi, sans l'aide d'aucun autre support que l'air bleu, et de battre des ailes, et de roucouler, performance on ne peut plus performante. Envie d'applaudir. Le spectacle ne m'était pas destiné: le tourtereau vole vers la tourterelle - que je n'avais pas remarquée - sur un des arbres déplumés du parking. Tentatives de pousser l'avantage, approches de plumes. Vol et éloignement de la tourterelle sur un autre arbre.


Retour au collège. Vole dans les  plumes des 5G refusant de sortir les leurs.




jeudi 29 mai 2014

moyens de transport

    photo Philippe Marc (merci)


J'irai

À dos de chamelle plutôt qu'à dos de chameau
Sur une caravelle plutôt que dans un car à veaux

Sur une rime féminine ou sur une éléphante
Sur une qui ne va pas droit ou une clopin-clopante

Sur le dos d'une baleine à bosses
À dos de fourmi-lion

En avion blanc comme un goéland
En hélicoptère argenté argentin

À pied et à contrepied avec mes dix orteils
À bicyclette bleue ou verte

En pédalo à deux places
En train avec entrain

En montgolfière à rayures
En motocyclette
En vélocipède
En chaise à porteurs
En planche à voile et à vapeur

Dans une pirogue étanche
Dans une bulle de savon (de Marseille)
Dans un grand éclat (de colère ou de rire)
Dans un soleil éblouissant

En patins à roulettes?

Sur une élégante goélette
Sur une mouette bavarde
Sur un trois-mâts fin comme un oiseau (la mouette exceptée)
Sur un cumulo-nimbus


Avec mes bottes de sept lieues et demie
Avec joie - déjà triste cependant - avec le sourire
Avec quelques poèmes dans la tête
Sans livres
Mais la griserie, et l'ivresse

Je partirai