mardi 30 avril 2013

de l'usage des cahiers - 8


De l’usage des cahiers – 8

photo de Philippe Marc, prise en octobre 2012 à Cucuron, 
que sans gêne j'ai retournée (pardon et merci Phil) 

… feuille arrachée échappée belle de la déchireuse cherche cahier de poèmes sans prétention pour collage si affinités… cahier non sérieux s’abstenir


Le ciel a des bleus dans son gris
quand il cogne, le soleil, il rigole pas
(on voit encore la trace des doigts)
parfois il en a marre le ciel,
il voudrait bien aller  voir ailleurs
mais c’est compliqué pour son grand corps
de se déplacer et puis il y a la terre
qu’est-ce qu’elle ferait sans lui, la terre ?

le ciel a des blancs dans son gris
lui qui avait une si bonne mémoire
de ceux et de celles passées sur terre
des poètes qui le prenaient comme comparant
des choses infinies,
comme l’amour dans les yeux de ceux qu’on aiment
mais il a des blancs, il ne se rappelle plus du poème
qu’il aime

le ciel broie du noir avec du jaune
le jaune, c’est à cause du pollen
le noir, c’est autre chose
ça vient d’un cafard qui le prend parfois
quand il pense à l’éphémère
des choses sur terre, si belles, si brèves
alors il a le cœur lourd, le ciel
et ça lui pèse, et ça lui pèse

au ciel, qui touche terre
répond terre touchée par ses pleurs
qui s’attendrit reverdit sous son gris
le ciel ne touche plus terre
il remonte légèrement gris
avec des bleus, des blancs
c’est l’éclaircie
le ciel sourit

vendredi 26 avril 2013

un terrible mille-feuilles




Une voix dit quelque part On dirait, mon cher Philippe, que c’est un terrible mille-feuilles pour… Je n’entends pas la fin car je souffre d’une surdité partielle du bout de l’oreille. En outre, c’est une journée de peu de pas. Capitaine de l’équipe « Roi et mages de Venelles » je vais tenter de marcher - faire marcher  la vieille machine pour que le podomètre affiche un peu plus de 9119 pas – et ne pas faire descendre la moyenne. Quant au Sablier antisénescence.
Ne pas chercher à comprendre fin de vacances c’est un syntagme qui n’existe pas encore car tu ne l’as pas encore inventé. En revanche, comprendre soudain que le road book retrouvé dans les caves de l’ordi vaut presque un Cahier de courses au trésor tant il y a eu d’anniversaires d’enfants de septembre mais où sont les autres ?

ROAD BOOK

POINT 1: Décharge Bardeline
Jeu du Mémobilles

POINT 2: Champ de citrouilles
Course en sacs

POINT 3: Les joncs
Je pars en voyage, je mets dans ma valise un A..., un B..., un C...

POINT 4: Les bambous
La course en tunnel

POINT 5: Barrière de végétation avant la ruine
La momie

POINT 6: La ruine
L'adverbe mimé

POINT 7: L'épave de la camionnette
Questions d'observation :
1) Quel arbre se trouvait à l'intérieur de la ruine?
2) Quels fruits peux-tu trouver près de la ruine?
3) De quelle couleur était l'arrivée d'eau?
4) En quoi était la toiture?

POINT 8: Le pin
"On s'en mêle"

POINT 9: La clairière
Le petit bac

POINT 10: Chasse gardée
"Qui suis-je?"

et puis penser au Catalogue d’objets introuvables de Carelman et relire dans la préface l’émerveillement de l’auteur en découvrant le catalogue de la Manufacture d’Armes et Cycles de Saint-Étienne (Loire) :

            J’entrais dans cet ouvrage comme Alice passait de l’autre côté du miroir, et j’y trouvais pêle-mêle des vastringues, des mordaches, des pinces à avoyer (que, bien sûr, je m’empressais de lire « aboyer » !), des turluttes (ou tantonniers), des avertisseurs de gelées, des décintroirs, des croissants d’élagueurs, des ciseaux à envies, des bourroirs pour enfoncer les bourres, des scies à grecquer, des cornets à entonner les saucisses, des croisillons dispersants, des curvimètres, des dendromètres, des euphorimètres.
            Je découvrais, avec des frissons, le fonctionnement mortel des belletières et des chatières fouinières.

Repenser à quelqu’une





(toutes les photos ont été prises au J1 à Marseille le 20/04/2013)

mardi 23 avril 2013

de l'usage des cahiers -7



Ce sont les vacances de printemps, mon cahier de vacances tient à la fois de l’agenda (choses à faire, à écrire, à lire) du journal intime (choses vues ou faites) ou de voyage (randonnées, balades) ou de lecture (je lis ou relis ce que j’ai donné à lire à mes élèves pour me rafraîchir la mémoire). Réinventant de nouvelles règles qui changent tous les jours, ces cahiers de vacances ont l’avantage d’être recyclables hors vacances scolaires. Les cahiers de vacances sont très souvent de petit format - Clairefontaine 96 pages à grands carreaux. Je les appelle par leurs couleurs. Tu n’as pas vu mon cahier orange ? Le cahier de vacances ressemble beaucoup au cahier de brouillon.



Mon cahier orange devrait s’appeler cahier du jour comme en cours élémentaire. Je commence souvent par noter l’état de la nuit (courte, longue, calme, agitée, avec ou sans rêves, etc.) de sorte qu’on pourrait l’appeler cahier du jour et de la nuit. Après une lecture et quelques notes de vocabulaire, je révise ma géographie –lecture du paysage serait plus approprié – en notant les principaux points de repère de la balade de la veille – pendant les vacances j’augmente mon nombre de pas – la botanique et l’histoire – ou patrimoine – et bien sûr parcourant les paysages de Cézanne l’histoire des arts. Au huitième jour de mes vacances, j’ai noté :

(lecture)
            comme ces langues dravidiennes qui n’eurent pas de mots distincts pour « hier » et pour « demain ». Venez et nous suivez, nous n’avons mots à dire : nous remontons ce pur délice sans graphie où court l’antique phrase humaine ; nous nous mouvons parmi de claires élisions, des résidus d’anciens préfixes ayant perdu leur initiale, et devançant les beaux travaux de linguistique, nous nous frayons nos voies nouvelles jusqu’à ces locutions inouïes, où l’aspiration recule au-delà des voyelles et la modulation du souffle se propage, au gré de telles labiales mi-sonores, en quête de pures finales vocaliques

            Saint-John Perse, Exil, New York, 1944

(vocabulaire)
DRAVIDIEN, IENNE (adj. et n.)
XIXe siècle. Dérivé du sanscrit Dravida, désignant un royaume de l'Inde du Sud, puis équivalant à Tamoul, sur le modèle de l'anglais dravidian, choisi pour définir ce groupe de langues apparentées.
1. Adj. Relatif aux Dravidiens, population du sud de la péninsule indienne. Les peuples dravidiens. Les langues dravidiennes. Le tamoul est une langue dravidienne. L'art dravidien.
2. N. m. Le dravidien, famille de langues refoulées dans le sud de l'Inde par l'indo-aryen.

(géographie)
colline du Bayon : prendre à Aix, la D17 en direction du Tholonet jusqu’à Saint-Antonin  - départ de la balade de la Maison Sainte-Victoire= partie nord-est du plateau de Cengle à après gué sur le Bayon, prendre à gauche voie DFCI et monter jusqu’au col de Bayle – point culminant : 518m –

(botanique)
chemin bordé de pins et de chênes blancs – garrigue

(histoire)
au col de Bayle, on ne peut ni voir ni y aller (exploitation agricole, site interdit au public) mais juste deviner la ferme de Bayle ; au XIIe siècle, c’était l’une des premières commanderies des Templiers en Provence

(calcul)
sachant que l’on a déjà fait 3759 pas en arrivant au départ d’une promenade, et qu’à la fin le podomètre indique 17872 pas, combien a-t-on effectué de pas ?
nb de pas  à 65 cm = total ?

Mon cahier de vacances contient parfois des dessins ou schémas très schématiques. Seulement parfois. 





                                Toutes les photos ont été prises hier (22/04/13) près de Saint-Antonin-du-Bayon

mercredi 17 avril 2013

de l'usage des cahiers - 6


De l’usage des cahiers – 6


J’ai perdu déchiré brûlé mes cahiers d’histoires. En quatrième, sur un autre cahier,  j’ai écrit un premier roman (dans lequel le personnage s’appelait Jennifer mais tout le monde l’appelait Jenny –sic !) je l’ai égaré un peu fait exprès, mais avant, je disais que j’inventais des histoires. Ces cahiers contenaient de nombreux débuts, quelques fins mais très peu de milieux. Du haut de mes dix ans 1m48 je tenais les contes pour des enfantillages et je ne connaissais pas le genre de la nouvelle. Je ne lisais que des romans de la bibliothèque verte, la série des Alice de Caroline Quine surtout… Alice détective, Alice et le carnet vert, Alice et les chaussons rouges, promettaient des délices nocturnes – délices décuplés par le plaisir de lire au-delà de l’heure de l’extinction des feux. L’année d’après, l’année de sixième, je découvrirais la série des Jalna (Mazo de la Roche) et le Journal d’Anne Frank, mais cette année-là j’avais un cahier d’histoires.
De mémoire (de quoi d’autre ?) je reconstitue l’une d’entre elles.

  C’était une petite fille (longue description physique) qui collectionnait des bouts du monde : cailloux, coquillages, plumes, cartouche de stylo plume avec petite bille, agate œil de chat, fleur séchée de pensée, mais aussi sonnette de vélo, mèche de cheveux roux, bouts de tissu de ruban cadeaux de papier brillant de papillote, lame de rasoir, allumette consumée entièrement, photo noir et blanc  petit format aux bords dentelés représentant un couple des années 30 inconnu de la famille, et bien d’autres bouts du monde minuscules qui n’avaient en commun que de tenir dans la main de Clarissa (car elle s’appelait sûrement Clarissa ou peut-être Rebecca). Sa collection ne contenait que des exemplaires uniques de différentes espèces. Un cabinet de curiosités dans une boite à chaussures taille 37. Son père disait que c’était une collection hétéroclite et après avoir cherché le mot dans le dictionnaire, elle avait recopié sa définition sur un papier qu’elle avait  plié en quatre et joint à sa collection. Quant (j’ai fait à cet endroit une faute d’ orthographe que je ne retranscris pas) à sa mère, elle vociférait (j’adorais ce verbe et avais tendance à en abuser) : Jette-moi ce ramassis de cochonneries… Sa mère était une ignare vociférante. La seule chose méritant à la rigueur d’être qualifiée de cochonnerie était un pinceau en poils de porc ou peut-être de sanglier.

Cette histoire ne va même pas jusqu’à Un jour, qui aurait dû déclencher une première péripétie. En revanche, il y a une fin.

La fillette était devenue une très vieille dame chenue mais encore très belle (très tôt j’ai couché sur le papier des vieillards encore très beaux) qui avait compris toute seule que le monde ne se collectionne pas par petit bout de matière.  La matière du monde est immatérielle. Elle qui croyait s’était appropriée le monde par petits bouts, s’en était dessaisie pièce après pièce. Elle avait offert son plus beau coquillage à son premier amant (je souris en relisant, j’étais bien plus ingénue que les enfants de 2013), donné une plume de fou de Bassan au premier fils quittant la maison, son agate œil de chat à sa fille préférée, elle avait tout donné. Elle n’avait plus rien possédé du monde que ses souvenirs, ses vieux os et le sang qui partait du cœur pour un tour du monde intérieur.

Je ne sais pas si l’on peut parler de fin mais l’histoire s’arrête là. Pas de milieu dans cette histoire. Juste un grand blanc. Je ne juge pas la qualité de l’histoire de cette petite fille mais je constate que l’adulte qu’elle est devenue n’a pas beaucoup évolué. De plus, elle en prend bien à son aise avec la reconstitution, mais c’est une autre histoire, un autre cahier.

Photos prises hier (16/04/2013) à la Quille, à côté du Puy-Sainte-Réparade