samedi 29 avril 2017

Le clinamen / 2

Soulages, "Peinture 181 X 244 cm, 25/02/2009", acrylique sur toile, musée des  Beaux-Arts de Lyon


Partons de cette idée folle d'ajuster, rendre juste, rendre l'empreinte à l'empreinte, le signe à la signature, l'objet aux mots. Quel objet ?
Quel mot ? Celui qui s'échappe comme anguille sous roche. 
Langue rocheuse de la pierre qui tremble ou la roche de la langue qui tremble.

   Arthur a dit « La circulation des sèves inouïes » et je retiens ou pas. 
Pas revenir, pas retenir le pied sur la pierre qui tremble. Si ça circule, ça ne tremble pas . 
Faire un pas , c'est aussi accepter de perdre l'équilibre, se rattraper par les muscles, par les tendons, par les os pour amorcer le deuxième pas.
On passe à la ligne et on écrit dans l'épaisseur du trait. On se rattrape à je ne sais quoi.

   Dans le ventre du texte, le « on » crève comme une bulle, persiste pourtant dans le silence, l'abandon et l'indifférence.

    Là, le banc.  Là, le fruit vert.  Là,  les toits et la fenêtre qui bat. C'est mieux,  mais c'est court. Alors ?

 On revient près du banc, on abandonne le fruit vert, on marche sur le toit, on dérape, on se rattrape et on écoute le battement de la fenêtre entre le dedans et le dehors.

  Les mots ne disent rien, n'attendent rien, ne proposent rien sans la distance qui les séparent. C'est l'entre-deux, la scène béante où ils viennent se cogner, électrons libres épars.



Texte: Claude Camilleri-Salaün


jeudi 27 avril 2017

Clinamen de la glycine



Car il faut bien que ça parte de quelque part, que ça s’origine avant de dévier… Qu’est-ce qui met en tension cette dérivation ? Il me faut pose matériel et matière, là, sur la table : les mots qui viennent en premier, les mots qui vous traversent et que l’on n’accueille pas à bras ouverts, parce que traitres ou trahis, ils ne sont pas nés de vous. Mais peu importe la naissance – la question de l’origine ne m’intéresse pas – c’est le transport qui compte finalement – la possibilité d’un véhicule – et d’un conducteur qui laisserait librement dévier son véhicule – un véhicule vivant dont la trajectoire serait en partie inconnue.

Soit, admettons que ce soit cette image qui te vienne. Un âne par exemple, c’est joli comme véhicule vivant, et toi dessus. Un âne conduit mollement – n’oublie pas de le laisser aller à sa convenance – par une ânesse. Tu pars sur ton âne – les sons te portent – en liesse. As-tu au moins une petite idée d’où tu vas ? Ânesse en liesse ne forme pas poème.

Quitte le sentier des mots. Pars de la sensation concrète de ce moment parfait. Bourdonnement de l’abeille, bruissement du vent, ronronnement des voitures au loin. L’âne s’arrête. Flatte-lui l’encolure. Remets-le en mouvement, tu tiens les rênes. Les odeurs vertes et gourmandes te ramènent à l’enfance et à la nostalgie. Aïe ! Dévie, dévie de cette pente périlleuse ! Mon â-ne, mon â-ne, a bien mal à la patte… Abats le pathos, dévie, dévie, vite ! Piétine la nostalgie, garde l’enfance. Prends l’enfance comme principe d’écriture. Écris sans chercher à.

Te voici ânesse sur un âne d’enfance.
Enchante-toi du vert touchant le bleu avec des crayons mal taillés.
Descends de ton âne, monte dans le cerisier – te cacher dans un creux  attendre que quelqu’un trouve ton plein. Les cerises ne rougissent pas assez vite, tu t’ennuies.
Médite une bêtise – une bêtise à échelle – une échelle à bêtise ça doit bien se trouver quelque part ! Pour porter l’échelle, il te faut un autre que toi.
Tu trouves d’abord une échelle sociale toute rouillée (pas vaccinée contre le tétanos, tu la laisses). Sur une échelle de 0 à 10, tu as zéro peur, 1 peu peur, 2 oreilles tout ouïes, 3 raisons d’arrêter ce jeu qui t’ennuie déjà… Tu suis une abeille – une grande bouffée d’air bouge l’air autour de toi. Tu retrouves l’âne. Ses grands yeux dans les tiens te posent des questions rhétoriques –celles que tu préfères – pas obligée de répondre.

Tu dévies, t’arrêtes d’écrire.
Tu commences vraiment maintenant.


            (Apt, dans la maison de Chantal « la licorne », 23/04/17)



mercredi 19 avril 2017

les z'électeurs




(les messieurs)
les brasseurs de vent,
les flagellants de saint-médard
les avaleurs de couleuvres et coupeurs d’avalée
les contrevenants de l’espagnolette
le rinceur de vue et le voteur de trouble
l’étourdisseur d’accalmies
l’empêcheur de tourniquets
l’empêcheur de tournicotis
l’empêcheur de tout

(les dames)
la drapière de danger
l’avaleuse de virage
la caresseuse d’espoir
la briseuse de méninges
les videuses de trop plein
les emplisseuses de rien
les danseuses mordues
les mordeuses dansantes
l’une des sœurs siamoises et sa sœur
maman

            (les couples)
le serreur de vis et la vicieuse de service
le grand-duc et la grande-duchesse
le grand-duc (un autre) et la chouette effraie (surnoms)
le frayeur de chemin dans la foule et la suiveuse tête basse
la suivante de comédie et le contre-emploi
l’employé aux zébrures, l’écuyère d’autruche et leurs trois enfants (mais eux ne sont pas en âge de voter)
disent qu’ils sont indécis

mais rien n’est sûr.


samedi 1 avril 2017

complainte de la lampiste

Philippe Marc, Gréasque (mars 2017)


La mine c’est comme entrer dans un tunnel, comme d’entrer dans la nuit[1]

Et la nuit c’est mon jour
et mon jour c’est mon homme
qui est comme une lampe – numéro 349 –
avec ses yeux noir charbon et sa foi de charbonnier.

Il dit que je suis son jour
quand il entre dans la nuit
le jour qui l’éclaire dans son tunnel de huit heures
là-bas sous le chevalement
quand il entre dans la cage à l’aube
il emporte mes yeux quand je lui tends sa lampe

Tous les jours il descend une fois et demie la tour Eiffel
et en bas c’est tous les jours la nuit
et au fond c’est toujours la peur
parfois la nuit nous nous étoilons

            

à Nadia et Thileli




[1] PatrickLaupin, Les Visages et les voix, 1991.