vendredi 30 décembre 2016

l'étincelle



photo Philippe Marc, Marseille décembre 2016



A Françoise Gérard qui traverse actuellement des ciels obscurs mais éclaire son blog de l’éclat de ses mots. Vous pouvez lire son haïku « le ciel obscur » sur son site, le vent qui souffle.

 Le ciel obscur

Nuit criblée d’éclats blancs
rire des étoiles
silence étincelant

Françoise Gérard


l’étincelle

un ciel s’éclaircit
grâce à une étoile

qui rit aux éclats


mercredi 7 décembre 2016

Leçon du réal /5




on pourrait tout simplement coulerde source plutôt que se la… douce
désapprendre la vieillesse à venir, le pas lent et vieux et fragile, pas encore, ou alors à choisir, la lenteur.
désapprendre la lumière de l’instant passé, à tout prendre, ne garder que le ténu, le rien ou presque
le pas, puis l’autre, au milieu – la chute est possible – suspendre le possible

le Réal conduit tes pas à l’inhabité
ouvrir une parenthèse : les quatre sirènes de Mallevieille - chacune a pignon sur rue et sur Réal – quatre sirènes regardant passer le fantôme de la malleposte  - fermer la parenthèse : une autre sirène, stridente, vrille les feuilles du tilleul.

au virage - ni vire ni rage – 
désapprentissage demande halte - pour ce que l’on a désappris fasse chemin en soi – là encore le pas en soi comme amorce de chute
raisonnement inutile – on pose le sac à raison à côté
on se désencombre
on donne congé au bon sens 
libre cours à ce qui s’ouvre…

Un arbre ne te dit pas son nom, mais son écorce à toucher, à lire dans ses lignes toutes les autres mains à lire accordées.
Il ne t’apprend pas son nom mais te donne tous ses automnes bouton d’or rouge-gorge.
Pas de nom mais le goût vert des pommes à pleines dents.
Quant au ruisseau, il te ruisselle une mélodie qui rappelle un lointain…
Habiter le virage maintenant et le garder dans son sac à mémoire pour après le virage

se lever se remettre en marche –désapprendre encore à écrire assise – écrire ce pas qui glisse et amorce une chute dans le Réal - ou le réel –

et puis encore
désapprendre à lire les lettres rouges Le Réal/Pêche/Gardée/Non affilié au club halieutique – c’est quoi halieutique ?
glop glop ricoche la rivière
« glop pas glop » s’amusait l’enfance au bord de l’eau
PLOC ! PLOC ! – deux gros plocs – pas d’anthropomorphisme, moi je veux bien, mais les arbres ne sont-ils pas de grands enfants à jouer à celui qui fera le plus gros ploc dans l’eau ? Les chênes surtout avec leurs glands, dénonce-t-elle

et puis encore
lianes et lierres qui veulent se faire aussi grosses que les troncs enlacés

et puis encore
feuilles de lumière tombant comme des notes de musique mais en silence

et puis encore
le vent qui s’enfle dans les feuillages au dessus du Réal, couvrant toute velléité de voix humaine

et puis encore
torticolis bleu du ciel au-dessus du vert et du jaune

désapprendre prend du temps 
temps de rentrer

temps de mettre un point.

Texte: Christine Zottele
Photo: Delphine Eyraud

samedi 3 décembre 2016

Leçon du réal /4

           


image de l'une des filles du Réal, Delphine Eyraud (croit-elle)



           Avant qu'elle ne se mette à hurler, un peu plus loin, l'arbre promet et promet encore - les arbres sont toujours là - seront toujours là avant après la détresse - apporteront la consolation  - avant d'être assoiffée de sens - une question qui ne devrait même plus se poser - être posée, peut-être, à la rigueur par un enfant, lui on lui en voudra moins, on ne la trouvera pas singulière sa question.

            Les animaux, eux ne la posent pas, la question du sens, ils le suivent, c'est tout. Il ne faudrait quand même pas y laisser des plumes dans cette histoire !

            Par conséquent ne pas mettre le crépuscule avant l'aube, la pluie avant les nuages, l'éclat avant le soleil, la pierre avant le carreau cassé, puisqu'on le sait, on est passé d'une rive à une autre, quand l'une et l'autre ont parlé d'une même voix.

            Ce ne sera pas beau comme on l'entend, ni rassurant comme on le voudrait, ni esthétique comme il le faudrait, ça ne sera peut-être même pas une voix, cette voix dans le virage, même pas ma volonté, même pas mon intention.

            Pourtant ça s'invente, ça se décide, ils disent ça comme ça.
            Ça ne tombe pas du ciel - ça ne court pas dans la rivière mais ça pourrait se désinventer dégringoler en quelque sorte
entre pierre et eau
entre hêtres et charmes
entre trembles et chênes
on dit peut-être trop bas maintenant
trop silencieusement pour être entendu, peut-être tendu
            Ça tombe de là-haut, martèle le toit en tôle,  presque un jeu dans cette pluie de lumière que les feuilles nous offrent.
            C'est l'eau qui court qui donne une leçon de choses, l'eau qui court qui reçoit et qui donne comme si elle rendait l'expression très simple, très vive.

            S'il y a une leçon, c'est  la certitude qu'ici ça vit. C'est entendu - c'est son rire - ça jubile dans le cours - l'enfance .


            Texte : Claude Camilleri, le 19 novembre 2016.


mercredi 30 novembre 2016

Leçon du réal /3

Image de Delphine Bole (merci!)


Tu entends le son du Real. Sa conversation intime. Son bruissement infini sur le silence des pierres.
Un bouquet de troncs transperce l’épaisseur de l’instant.
Avant cela, avant, il y a les deux bras tendus comme pour l’étreinte du platane éventré.
Avant cela, il y a la voûte qui sépare le balcon de la route, demi-sphère ouverte sur des Alpes imaginaires. Tu entends le bêlement de moutons du passé, l’arrondi de leur bergerie fait écho à celle du pont.

Les mains ouvertes des feuilles de platanes au sol. Mains à la peau brune, roussie, orangée, craquelée par la sècheresse.
Plus loin, l’enfance s’est figée dans l’ombre froide d’un livre posé sur le muret.
La maison est restée, solitaire, le tilleul a grandi.
L’arbre et ses nombreuses vies. Chacune repliée dans ses strates de bois, dont l’aubier préserve le secret.
Par un trou aléatoire de l’écorce, une histoire s’échappe, un fragment de vie, d’enfance peut-être.

Le chêne assassine gland par gland l’innocence. La poésie bucolique, oui, mais à l’écart des coups sournois du vent et de la gravité.

Le dialogue en toi est bavard. Ce ne sont plus deux voix qui s’entremêlent mais mille voix qui s’imbriquent se cherchent cahotent se coupent la parole s’alimentent.
L’une suit le cours joyeux du Real, emprunte sa tessiture, gorgée de mousse éphémère.
Quand en auras-tu fini de ton monologue multiple, des enchevêtrements de ta pensée, noueuse comme un bois, torsadée comme un tronc, fouillis comme ces branchages ?
La nature écrit le temps
elle parle aussi bondit sautille avale l’impuissance de l’homme jaillit sourd sans se laisser interrompre par les virgules de pluie ou les points de suspension des nuages
d’une rive l’autre de la page court ton encre affamée d’émois
les particules de vie pourriture moisissure germe pistil filaments forment un tout qui t’englobe et te sature à en perdre le souffle à en perdre la voix à en perdre le chant du monde.


Me voici plus calme, apaisée au pied de cette statue centenaire. Ses rejetons rouillés font tapis, ses racines rebelles siège impromptu. Ma peau contre la sienne robuste et fragile, sale et noble, ma chair épousant ses veines. Sa sève non loin irrigue ma verve.
Dans le virage tout pourrait s’inverser : le cours de l’eau, le sens de l’âge
remonter la rivière comme le temps, revenir à la source comme au passé, reculer au lieu d’avancer, renverser le mouvement, du sol vers la branche pour la feuille perdue, de la mousse au surplomb pour l’eau qui se jette, l’encre reviendrait au stylo, la pensée retournerait se blottir dans la tête les mots dans la gorge alors je ne parlerais plus tu n’écrirais pas vous n’entendriez rien nous ne respirerions plus.
retourne au vide, le souffle
retourne au néant
repars d’où tu viens !
mais je vais et viens, j’inspire ici et là expire, d’où suis-je, où nais-je ?


Point de neige à ce pont-là, mais de l’eau, une eau tapie qui danse discrètement la ronde, incertaine de vouloir quitter la voûte, incertaine de vouloir couler. Coulant quand même, malgré elle, libérant des ors dans sa fugue.
Là, je reprends le fil. Le fil de l’eau. Le cours du Real, le flux du texte lâché par inadvertance.
La pluie s’est accentuée maintenant, une pluie d’automne légère et jaune, au frôlement doux à l’oeil et à l’oreille.
La forêt palpite de ces ondées végétales, elle respire de grandes brassées, expire à l’unisson avec nous. Elle nous oxygène, quand nous lui offrons nos molécules de carbone inventées par le corps humain pour faire respirer les arbres. Me voilà trempée d’automne, mouillée d’or et de cuivre. Larmes sèches qui viennent expier au sol le péché d’insolence de l’été.



         Texte et images: Delphine Bole, novembre 2016


samedi 26 novembre 2016

Leçon du réal / 2


Image de Juliette Penblanc (merci!)



Elle dit quelque chose comme à l'avant de moi
ce ne sont pas des mots elle dit l'incertain qui rassure en même temps
elle dit qu'elle ne sait pas où elle va peu importe elle se donne entièrement dans cet oubli de soi qui avance vers un pas prochain
lequel n'est pas la question elle invite aux méandres comme une aventure ne pas savoir
il suffit de couler elle dit je coule et qu'importe le côté sur lequel on se trouve ça coule toujours dans le même sens

Trois enfants dansent passent le gué comme si rien pas de frontière c'est facile tellement facile de traverser
je laisse quelque chose s'échapper dans son eau et dans le même bruit le roulis de cristal annule la pensée

Les trois enfants se sont mis à chanter
Elle les suit de sa voix sans parole

Et surtout / oubliez chaque pas/ ne laissez pas de trace/ ne suivez rien/ ne regardez pas trop avant/ chantez juste/ chantez / dansez peut-être/ et gouttez chaque rive de vos pas/ marchez léger

Si les trois enfants entendent on ne sait pas ils laissent le virage les envelopper
la brume les surprend ils préfèrent se taire maintenant
passent le platane trident
les feuilles rondes et jaunes pleuvent lumineuses
s'accrochent à leurs têtes ou se déposent sur l'eau ils vont ensemble quelque part ils ne sont déjà plus là




                                          Texte et images: Juliette Penblanc, novembre 2016