vendredi 30 mai 2014

comme par hasard

Photo Philippe Marc


Je m'essaie à mon tour à un exercice de rétrospection après avoir lu hier, dans la même journée, comme par hasard, la proposition d'écriture de François Bon à partir du Journal de Kafka et une page du Don Juan de Peter Handke:

Pour provoquer le surgissement de ces aspérités du quotidien qui font image, on va proposer une contrainte : prendre les sept derniers jours écoulés, et isoler de chaque jour un de ces instants, parmi la profusion des souvenirs récents pour les jours les plus proches, depuis l’effacement mémoriel pour les jours déjà plus lointains. Se forcer à trouver, dans la répétition du quotidien, pour chacun des sept derniers jours, une de ces aspérités qui font mémoire par l’image, et ressenties comme un objet singulier.
[...]
Insister que chacun des 7 fragments qui va s’écrire va représenter un défi dont la règle n’appartiendra qu’à lui seul : aller à la rencontre d’un souvenir survivant à mesure qu’on s’enfonce dans le temps, et l’oubli même à 7 jours de distance, et – au contraire – extraire du singulier depuis la profusion qui reste de la veille et de l’avant-veille.
            François Bon, atelier | écrire avec Kafka, trois exercices (plus un), le tiers livre


Pour ce qui est de son récit proprement dit, le soir de son arrivée à Port-Royal des champs, Don Juan le commença, par le même jour de semaine, une semaine auparavant. Il était alors encore à Tiflis, en Géorgie. Ce n'est pas l'histoire d'une vie entière qu'il me servit là, ni même disons celle de l'année passée, mais uniquement celle des tout derniers sept jours, et ainsi de même le lendemain, jour après jour. Ce lundi-là, par exemple, ce fut le lundi de la semaine précédente qui lui revint en mémoire, et de façon si incomparablement aiguë et façon tellement évidente et amène, comme ce ne pouvait guère avoir été le cas pour le mardi passé ou disons pour le lundi du mois précédent et ainsi de suite, à remonter la mémoire.
"Lundi il y a une semaine" - et déjà les images arrivaient, les images de la journée tout entière, non sollicitées - les images du jour d'il y a juste sept jours se réveillaient, telles qu'elles ne s'étaient pas montrées une semaine plus tôt, prenaient leur place, s'associaient, calmes sans le tam-tam du souvenir convoqué exprès qui en devient sonore, et si c'était le cas, alors au rythme d'une succession tranquille, sans emboîtements, grandes et petites choses, équivalentes. Plus rien de grand mais plus rien non plus de petit.
                                               Peter HANDKE, Don Juan (raconté par lui-même), trad. de l'allemand (Autriche) par Georges-Arthur Goldschmidt, éd. Gallimard, 2006, Folio 5743, pp. 37-38.

À la première lecture - Handke avant Bon - la coïncidence me semblait évidente; après relecture des deux passages, c'est la divergence qui me saute aux yeux: excepté la rétroacitvité des sept jours, il y a chez don Juan, le libre flux du souvenir revenant de lui-même et son corollaire, une succession d'images dont aucune n'émerge , alors que dans la proposition de Bon, c'est le caractère délibéré d'extraire et de mettre en relief de la journée d'il y a sept jours, un seul moment, une toute petite aspérité du réel ordinaire. Le fragment versus le récit fleuve. La succession plate versus le relief sonore. Cependant, dans les deux cas, sur le terrain du réel, le fantastique advient...

J'écris ce vendredi 30 mai (pont de l'Ascension)

Il y a sept jours: vendredi 23 mai, semaine B: 6F, 6E le matin, 5G, 5E, remédiation 6G, remédiation 6E. Journée sereine commençant: avec les 6E, fin du film de Miyazaki "Le voyage de Chihiro" - "Commence par apprendre à finir ce que tu as commencé" l'injonction de la sorcière Chubayaga résonne encore dans ma tête. Soleil éblouissant sur le parking du collège.

Pomme et sandwich sur un autre parking de la Tour. Sortie du collège, du bruit, des bavardages élèves et collègues. Recharge de paix, de bleu, de silence. Recueil de Haïkus de Sôseki dans le sac. Se préparer au pire: les 5G à 12h40. Le silence impossible. Ne pas y penser, vraiment ne pas y penser, ne pas y penser. 5/7/5 syllabes. Fixer un moment évanescent.

Croquer la pomme et le bleu du ciel. Vol en arc de cercle d'une tourterelle, immobilisation de l'oiseau à deux ou trois mètres au-dessus de moi, sans l'aide d'aucun autre support que l'air bleu, et de battre des ailes, et de roucouler, performance on ne peut plus performante. Envie d'applaudir. Le spectacle ne m'était pas destiné: le tourtereau vole vers la tourterelle - que je n'avais pas remarquée - sur un des arbres déplumés du parking. Tentatives de pousser l'avantage, approches de plumes. Vol et éloignement de la tourterelle sur un autre arbre.


Retour au collège. Vole dans les  plumes des 5G refusant de sortir les leurs.




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