samedi 3 mars 2018

Moscou-Paris | 2



Le verbe cristalliser scintille bizarrement pour évoquer les souvenirs des trois derniers jours de février passés à Paris avec l’amie, comme si le froid polaire les avait cristallisés dans une boule de verre déformante.

Musée de Montmartre pour l’exposition Van Dongen. Photos interdites. S’imaginer alors l’influence de Van Gogh pour le jaune du ciel avec « Les Lieuses », l’amitié/rivalité de Picasso qui vient de peindre « Les Demoiselles d’Avignon » et dont il prend le contrepied avec « les Lutteuses de Tabarin ». Le Bateau-Lavoir est une ruche où ne vibrent pas encore tous mots en –isme, juste des peintres audacieux qui, n’ayant rien à perdre, tentent et osent tout. Van Dongen peint Fernande Olivier comme jamais Picasso ne l’a figurée : un trait noir épais pour la fente de son regard, avec du rose autour, des seins verts et cette Fernande-là, je la reconnais – pas seulement parce que c’est l’affiche de l’expo. Un surréaliste me souffle dans l’escalier :

Dans la nuit fade les rêves accostent à la rade pour décharger des fèves.[1]


S’émouvoir de l’appartement-atelier de Suzanne Valadon, par la fenêtre voir les flocons apporter un flouté de blanc sur les jardins Renoir et la maison du 12 rue Cortot. Dans l’une des salles, musique de french-cancan et photos de La Goulue et de Grille d’Égout (appelée ainsi à cause de ses dents du bonheur et qui avant d’être danseuse a été institutrice – parcours intéressant).
Le théâtre d’ombres des cabarets m’apparaît d’une beauté nette et absolue. Ce petit musée nous enchante. Je croise sur un écran le fantôme bien vivant de Cendrars sur les traces de Modigliani.

Rrose Sélavy proclame que le miel de sa cervelle est la merveille qui aigrit le fiel du ciel. [2]


En sortant du musée, grisées de neige et de mélancolie, nous prenons la direction de la butte. La neige a cessé. Un soleil pâle éclaire la vue de Paris que les touristes prennent en photo. En descendant la butte, Bouba m’attrape le doigt par un sourire éblouissant. Autour de mon auriculaire, il tresse un bracelet de fils noirs et blancs pour que je vienne le revoir tout en me parlant de lui et m’interrogeant sur des choses simples. Il vient de Côte d’Ivoire, je suis du Sud, Marseille aussi belle que Paris mais différemment, autrement que Paris. Il faut venir, lui dis-je, il y a la mer. Il s’étonne que je n’aie qu’un seul fils, Pourquoi pas cinq ou six ?  C’est vrai, pourquoi pas cinq ou six ?  Je sors le vieux porte-monnaie de mon grand-père, en lui disant Il est tout moche, tout usé, mais il a appartenu à mon grand-père. Il s’appelle Bouba et je m’appelle Christine, c’est aussi simple que ça. Nous nous étreignons avant de nous quitter. Je porte encore le bracelet et son sourire avant de rejoindre l’amie. Se diriger vers le marché Saint-Pierre. Souvenirs d’enfance et de costumes de danse.












[1] « Épiphanie » n°55, Robert Desnos, Corps et Biens, p. 59.
[2] « Épiphanie » n°59, Robert Desnos, Corps et Biens, p. 60.

vendredi 2 mars 2018

Moscou-Paris | 1




Je pars en même temps que le Moscou-Paris à 7h10 d’Aix-TGV. Trois jours de froid bleu canard avec l’amie à Paris. Elle a tout organisé, tout réservé y compris ce qui ne se réserve pas. J’arrive la première. [JacquesBonsergent est le premier résistant fusillé pendant l’occupation allemande. La station de métro qui porte son nom est sur la ligne 5] Deux bouquets de jonquilles pour mettre du jaune à la vie. À l’hôtel, rue Sampaix [ Lucien Sampaix, journaliste et communiste fusillé le 15 décembre 1941 par les nazis]on offre les bouquets à Ahmed et Pétronelle, la chambre s’ouvre grâce à leurs sourires.



Bagages déposés, repartir vers le canal Saint-Martin, rue Dieu - espérer croiser Dominique Hasselmann. Soupe au potiron et au gingembre rue des Vinaigriers. Rue d’Aboukir. L’amie chantonne un couplet d’ « Aquarelle » d’Isabelle Mayereau.

Le temps était maussade, à la fois gris et froid
Les boulevards encombrés et les néons géants
De la rue d’Aboukir attaquaient les passants
Comme un fusil à eau sur le nez d’un agent

Froid oui, mais ni maussade ni gris. Ni bleu, ni blanc. Comme le bonnet à pompon de l’amie qui tombait souvent. Quant à moi, tête nue tête folle, toute la journée cherche à acheter un bonnet, en vain ! Nous cherchons « la lumière moderne de l’insolite » dans les passages.

            La lumière de l’insolite, voilà désormais ce qui va le retenir.
                  Elle règne bizarrement dans ces sortes de galeries couvertes qui sont nombreuses à Paris aux alentours des grands boulevards et que l’on nomme d’une façon troublante des passages, comme si dans ces couloirs dérobés au jour, il n’était permis à personne de s’arrêter plus d’un instant. Lueur glauque, an quelque manière abyssale, qui tient de la clarté soudaine sous une jupe qu’on relève d’une jambe qui se découvre. Le grand instinct américain, importé dans la capitale par un préfet du second Empire, qui tend à recouper au cordeau le plan de Paris, va bientôt rendre impossible le maintien de ces aquariums  humains déjà morts à  leur vie primitive, et qui méritent pourtant d’être regardés comme les recéleurs de plusieurs mythes modernes, car c’est aujourd’hui seulement que la pioche les menace, qu’ils sont effectivement devenus  le paysage fantomatique des plaisirs et des professions maudites, incompréhensibles hier et que demain ne connaîtra jamais.[1]

Passage du Caire, des êtres vaguement familiers et étranges et inquiétants en promotion : des sans-bras ou des sans-tête, des créatures sans âge, asexuées, argentées, à 59 euros, pour certains… J’hésite à en acheter un mais finalement y renonce - trop encombrant dans le train…  



L’amie m’entraîne vers un autre passage, celui du Grand-Cerf, les plus hautes verrières de Paris, de belles enseignes libellules ou yeux à lunettes, passage du Bourg-l’abbé, triste et endormi… nous marchons dans le Moscou-Paris, nous abreuvant de thé ou de café dans des haltes prévues à cet effet, nous remettons en marche – court pèlerinage rue du Jour, à la droguerie où l’amie se procurait plumes et perles pour ses oreilles. Le soir, retrouvons la troisième amie et le fils après leur journée de travail.








[1] Aragon, Le Paysan de Paris, Folio, 1972, p. 21

dimanche 28 janvier 2018

faire l'appel des abandonné.e.s



Nés sous ma plume, ils/elles n’ont vécu qu’un bout de page voire une ligne. Feuilletant mes carnets, je les rassemble ici, je fais l’appel pour qu’ils répondent Présent.e encore une fois. 

            - Vertige Vega
            - La Sauterelle devineresse
            - Celle-qui-veille au grain
            - Celle dont-on-ne sait-presque rien
            - Sophie Garidelle
            - Patience Lescalier
            - le Blob
            - Le Preneur-de-premier train venu
            - Le Verseur-d’huile-sur-le-feu
            - Le Pris-au-sérieux


Quant à Aimé Brouillard et Paul Persil, ils dorment du sommeil de l’injuste, attendant mon bon printemps. La Mensongeuse et Brèche-blanche sont plongées dans mon coma. Vassi et Baba sont en voyage. Les ogresses m'appellent.


dimanche 7 janvier 2018

un vent à décorner les boeufs

photo Philippe Marc


vent à délivrer des secrets hurleurs
vent assoiffé n’a pas d’odeur
vent à sauter sur les tables
vent à renverser les pouvoirs

soudain sur la colline… plus rien


jeudi 4 janvier 2018

cut-up 18 (avec références)

Je paie aujourd'hui mes dettes. Après le cut-up, les titres et les auteurs/autrices parmi lesquel.le.s j'ai fait mon petit marché.

C’est la réalité qui éveille les possibilités, et vouloir le nier serait parfaitement absurde. Elle nous invite à sortir de nous-mêmes.
Là, devant moi, à ma hauteur, immédiate, réelle cette femme grandeur nature, assise sur une chaise bancale dans une maison emportée par un déferlement de boue.
Sa chair a cessé de trembler.
Alors tout le capharnaüm du jour affamé recommence.

Et soudain, elle n’est plus nulle part.
L’HOMME ÂGÉ. Euh je sais pas.
Dans le quartier, nous aimons bien ce vieil homme solitaire.
Foutaises.
Ils m’ont appelée la Rouge Bête.

Le même geste.
J’ai déposé la petite feuille de persil sur la table de nuit.
En voyage, je me fais des surprises, par exemple, je décide à un moment où je ne m’y attendais pas que le voyage est terminé.
Ce voyage alors ? dit Rosette

Il découlera de cette réflexion qu’il y a deux façons de prouver que l’homme est en trop au théâtre.
si humaine animalerie de la chose
les mots d’homme qu’on n’aimait pas, jouir, branler
ceux appris durant les études, qui donnaient la sensation de triompher de la complexité du monde. L’examen passé, ils partaient de soi plus vite qu’ils n’y étaient entrés.
Pas mieux, pas pis, pas de changement.

                                                                                 

                                                          

C’est la réalité qui éveille les possibilités, et vouloir le nier serait parfaitement absurde. Musil, L’homme sans qualités t.1
Elle nous invite à sortir de nous-mêmes. Barney Norris, Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières
Là, devant moi, à ma hauteur, immédiate, réelle cette femme grandeur nature, assise sur une chaise bancale dans une maison emportée par un déferlement de boue. Don DeLillo, Zero K
Sa chair a cessé de trembler. Jean-Luc Seigle, Femme à la mobylette
Alors tout le capharnaüm du jour affamé recommence. Thomas Vinau, Le camp des autres

Et soudain, elle n’est plus nulle part. Jean-Claude Ameisen, Sur les épaules de Darwin - Les battements du temps
L’HOMME ÂGÉ. Euh je sais pas. Joël Pommerat, Pinocchio
Dans le quartier, nous aimons bien ce vieil homme solitaire. Kaouther Adimi, Nos richesses
Foutaises. Koltès, Quai Ouest
Ils m’ont appelée la Rouge Bête. Pierre Pelot, Debout dans le tonnerre

Le même geste. Laurent Gaudé, Eldorado.
J’ai déposé la petite feuille de persil sur la table de nuit. (Maurice Roche, Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil.)
Ce voyage alors ? dit Rosette (Noëlle Renaude, La PetiteMaison)

Il découlera de cette réflexion qu’il y a deux façons de prouver que l’homme est en trop au théâtre. (Michel Corvin, L’Homme en trop – L’abhumanisme dans le théâtre contemporain)
si humaine animalerie de la chose (Anna jouy, Agrès acrobates)
les mots d’homme qu’on n’aimait pas, jouir, branler
 ceux appris durant les études, qui donnaient la sensation de triompher de la complexité du monde. L’examen passé, ils partaient de soi plus vite qu’ils n’y étaient entrés. (Annie Ernaux, Les Années)
Pas mieux, pas pis, pas de changement. (Samuel Beckett, Oh les beaux jours suivi de Pas moi)