vendredi 28 décembre 2012

un moment presque parfait



Le jour de Noël aller jusqu’à la mer. Solitude et silence, cadeaux merveilleux en ce début de matinée après réveillon familial. Ne croiser que des oiseaux de jour encore mal réveillés. Saluer un vieil homme assis sur le muret de sa maison au milieu de la colline. Sur le pont de la rivière, des oiseaux de mer surplombant des pigeons de ville observant l’eau douce d’un œil à demi fermé – ne pas leur attribuer nostalgie ou mélancolie humaines -  s’en approcher jusqu’au pas avant l’envol.


Longer la rivière qui va à la mer. Observer les signes où l’eau moins douce et plus saumâtre se fait marine. Plus que la vue c’est l’ouïe qui l’indique. Au clapotement de l’eau encore douce contre la jetée se substitue le claquement des gifles des vaguelettes. Le rythme des claques marines va crescendo et l’on sait soudain que c’est la mer. On ne se pose plus la question. On délaisse le sentier du littoral pour marcher sur les rochers. On ramasse deux cailloux rose et ocre. On les met dans sa poche et l’on va s’asseoir au plus près de l’eau.


La fascination de l’étang, on y pense fatalement à cause des deux pierres dans la poche, et surtout  de Virginia. La nouvelle lue récemment, les voix de ceux qui sont passés là. Mais on ne regarde pas le fond, on regarde l’horizon. On se dit que ce serait un moment presque parfait si on n’avait pas croisé - juste avant de s’asseoir - une petite fille avec ses deux parents s’approchant timidement et mignonnement, vous tendant un papier et d’un sourire minauder : Excusez-moi madame, puis-je me permettre de vous offrir cette petite brochure ? Au père de prendre la parole : Ce matin nous paraît particulièrement indiqué pour vous proposer une vie paisible dans un monde nouveau ; « Les justes posséderont la terre, et sur elle ils résideront pour toujours », vous trouverez l’extrait de ce psaume à l’intérieur du prospectus... J’observe la mère, jeune, un serre-tête rouge sur une tête inclinée vers le sol, le regard fuyant, silencieuse, soumise à la parole de l’homme. Il ne nomme pas une seule fois le groupe sectaire auquel ils appartiennent et que j’ai deviné  au cinquième mot de la fillette - mes instincts s’émoussent, auparavant, j’aurais deviné avant même le premier mot et mon masque rébarbatif aurait dissuadé toute tentative d’approche. Après avoir envisagé de lui dire le fond de ma pensée, je me contente de lui opposer un silence qu’il interprétera comme bon lui semblera – et c’est ce qui gâche ce moment presque parfait. Va-t-il interpréter mon silence comme un encouragement pour la fillette à poursuivre ainsi son prosélytisme ? Si je lui avais donné une gifle, cela l’aurait peut-être dissuadée à jamais de distribuer ses brochures. Bien sûr, jamais je ne l’aurais fait cependant j’aurais pu dire au moins que la Bible je la lisais seule, que… mais… soit effet de ce fameux esprit de Noël inoculé à mon insu, soit, plus sûrement, crise d’àquoibonite, j’ai préféré prendre le prospectus et me taire. D’où le malaise devant la mer.


Regarder la mer, les vagues qui viennent mourir contre les rochers. Non, elles ne viennent pas mourir. Ne viennent pas, ne meurent pas. Quant à la rivière, elle ne se jette pas dans. Loin des eaux dormantes, ce sont les grandes épousailles des eaux vivantes avec les eaux vivantes. Car elles vivent, se renouvellent, me renouvellent. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire