lundi 15 août 2016

Nuées ardentes / 1

[Voici les premières scènes de Nuées ardentes, petite forme dramatique écrite par Claude Camillieri Salaün. À chaque fois, j’ai assisté avec bonheur à sa naissance, à sa lecture à voix haute et ses transformations. Merci Claude de partager ton travail ici. Est-ce-en-ciel revient à la vie.]





Dans un restaurant, en Sicile. Au loin l'Etna dégage un panache de fumée blanche. Deux couples attablés. Ils ne se connaissent pas. Le couple 1 est formé depuis 25 ans. Le couple 2 est bien plus jeune. Leur premier voyage ensemble peut-être.

                                      
Acte I  Scène 1
Charles, Diane

      La moitié de la table occupée par Diane et Charles est éclairée.
                                     

   Charles - Tu vois depuis que nous sommes ici, je ne te comprends plus. D'ailleurs pour être franc, je ne t'ai jamais comprise. Tu me parles dans une langue étrangère, même plusieurs langues étrangères… Ton air absent, tes sourires pincés, tes allusions bidons…

  Diane - Tu as le droit de ne pas me comprendre mais tu peux me parler autrement.

 Charles (il se sert du vin rosé) - Ça ne te fait pas peur à toi, le panache blanc ? À l'hôtel, ils ont dit qu'une éruption était prévue. Les sismographes ont bougé… Nos vacances fichues, rapatriés, plus rien, tout perdu... Tu imagines ? C'est bien notre chance.

Diane - Je ne sais pas…

Charles (agressif) - Qu'est-ce que tu ne sais pas ?

Diane - Je ne sais pas si c'est une question de chance ou malchance.

Charles (ricane) - Alors pour toi être transformée en momie cendrée d'une seconde à l'autre ce n'est pas de la malchance. Non ! Il faudrait quoi ? Godzilla en personne qui t'enlève pour lui tout seul.

Diane - Ce n'est pas ce que je voulais dire...Tu as vu ces couteaux ? Ils ressemblent à notre service. La lame effilée…

Charles - Je ne supporte plus cette façon que tu as de ne pas finir tes phrases…

Diane - L'évaporation de son âme…

Charles - !

                                       

Scène 2
Charles, Diane, Pablo, Aude
            
           Toute la table est éclairée. Un jeune couple est assis à côté de Charles et Diane. La jeune fille les observe. Le jeune homme est occupé à déguster ce qu'il y a dans son assiette.


Aude (elle se penche vers Pablo)- Tu as vu le couple à côté de nous ? Lui, il parle sans arrêt. Il n'a pas l'air content, il la fixe, il lui en veut. Elle ne dit rien ou presque. Elle baisse souvent les yeux ou regarde ailleurs. Elle regarde le couteau à viande. C'est tout. Tu crois qu'on pourrait finir comme ça ?

Pablo - Ça m'étonnerait... L'huile d'olive ici c'est de l'or, je te jure, de l'or par transparence.

Charles - Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. La clim ne marche pas et cette histoire de volcan dans la tête. Tu as pu dormir toi ?

Diane – Oui, je crois. J'ai même rêvé de …

Charles (il lui coupe la parole)- Les nuées ardentes c'est ce qu'il y a de pire. L'onde de choc, la coulée et les nuages. Le couple, tu sais, les deux scientifiques, les Kraft, même eux ils ne les ont pas vues venir. C'est brutal, tu n'as même pas le temps de te retourner et c'est fini.

Aude (à voix basse à Pablo) Tu l'entends ? Il râle tout le temps, il a peur, il est nerveux. Un dépressif, un boulet en vacances.

 Diane (le couteau effilé à la main, se retourne violemment vers Aude) - Mademoiselle, je vous en supplie, prenez ce couteau et essayez de scier ma ceinture, elle est coincée. Je n'arrive plus à respirer, j'étouffe.



Photo: Araignée de Louise Bourgeois
Texte: Claude Camilleri Salaün


lundi 4 avril 2016

Entre deux nuits / 3


photo Philippe Marc


Ça pourrait débuter ainsi…

- Il ne parle pas ?
- Il parle quand il veut.
- Qu’est-ce qu’il dit ?
- Toutes sortes de choses.
- À tout le monde ?
- Non, bien sûr que non. Tu parles à tout le monde, toi ?
- Non, bien sûr que non. (un temps) Mais à moi, tu crois que…
- Que quoi ? Pourquoi les grandes personnes ne vont-elles jamais au bout de leurs questions ?
- Parce qu’elles oublient que tout a un bout, peut-être… Crois-tu qu’il me parlerait si je lui racontais…
- Si tu lui racontais quoi ? coua-coua
- Une histoire de poule par exemple, ça lui plairait ?
- p’têtre bien, bien-bien, ça dépend, pan-pan ! C’est quel genre de poule ?
- Une poule verte comme ta robe.
- Verte et pas bien mûre, ton histoire… Je vais lui demander… Bouge pas, pa-pa…
- Quoi ? Pourquoi m’as-tu appelé ainsi ? Et il est où ton papa d’abord ? À ton âge, toute seule, à cette heure, à cet endroit…
- Non.
- Quoi ?
- Non, l’histoire de la poule verte, il la connaît déjà ; il voudrait une histoire rouge, t’aurais ça en magasin, zin-zin ?
- Écoute, fillette, je ne suis pas zinzin et tes parents doivent être morts d’inquiétude…
- Non c’est Ubu.
- Ubu ? C’est ton papa ?
- Non. C’est mon chien. Il a attrapé l’inquiétude et il est mort ! Et j’m’appelle pas fillette, et toi, twa-twa ?
- Moi, je ne m’appelle pas Twa-twa mais Poucet-Poucet ! Certains m’appellent Aimé Brouillard. Et toi ?
- Solaria Djilyaria qui attend… ton histoire.
- Et lui, il s’appelle comment ?
- C’est un œuf ! Un œuf n’a pas de nom ! Bon alors cette histoire…
- Tu m’as l’air bien décidée, Solaria Djilyaria ! Rouge l’histoire, c’est ça ? rouge comme ton œuf ?

- C’est pas mon œuf, neuf-dix !






lundi 28 mars 2016

Entre deux nuits / 2

photo Philippe Marc


Lui, je l’ai rencontré entre deux nuits, la première et la deuxième, plus exactement à la fin du jour de la deuxième nuit – les grands disent entre chien et loup – pas compris pourquoi… peut-être parce qu’ils ne savent plus qui apprivoiser à ce moment-là. La nuit, on dit que les chats sont gris et les souris, elles dansent le tango, go-go ? Moi, je pense pas qu’elles dansent le tango, je crois que c’est le menuet des trotte-menu. Où est mon œuf ? (l’œuf est important dans mon histoire avec lui et ce moment espacieux entre chien et loup aussi – un moment esblouissant et especial aussi, si-si). Je disais quoi ? Ah oui l’œuf ! Ils disent que je perds souvent le fil – Solaria a encore perdu le fil – mais ils ne disent pas le fil de quoi – coua-coua, ni de quelle couleur. Du moment que je ne perds pas l’œuf ou que je ne le casse pas, tout va bien. Mon œuf est carmin et russe – comme moi – sauf que moi je suis plus russe que carmin, main- main.

Lui, l’écrivain, il dit qu’il s’appelle Poucet-Poucet mais je crois qu’il s’appelle Aimé Brouillard. Il pense que je lui raconte des histoires. Lui, il en écrit, cri-cri. Quand je l’ai rencontré entre la première et la deuxième nuit, j’étais espécialement triste car j’avais appris la mort (C’est comme la vie mais en plus immobile et plus sérieux – un chien mort ça joue plus avec vous –vou-vou) et je trouvais pas ça drôle du tout –toutou.


dimanche 27 mars 2016

entre deux nuits / 1

Le Val (avec mon portable)



Elle apparaît à la fenêtre comme un printemps dans une tasse à café. Ruminant un bon tour, ou plutôt l’amorce d’un bon tour, elle se penche et roule sur la pelouse. Une robe verte avec des jambes roule dans le vert de l’herbe toute neuve. Elle respire à fond l’odeur verte. Elle se targue d’habiter le papier espacieux (elle sait que le mot n’existe pas pour les grands mais elle l’aime ainsi –plus grand et plus vert).


Elle se relève maintenant, marche en longeant le chemin de fer. Sa main serre l’œuf carmin qui ne doit pas se briser, pas se briser, zé-zé, se répète-t-elle en boucle. En retard, elle est, comme le lapin blanc d’Alice. Elle ne tergiverse pas, elle court maintenant.

Devant la porte de la cabane du vieil écrivain, elle sa belle robe verte, secoue l’herbe dans ses cheveux. La porte s’ouvre sur le sourire de l’homme aux doigts d’encre.
- Tu es en retard, Solaria Djilyaria. Mais tu as l’œuf carmin. C’est déjà ça. Entre.


Dimanche dernier, je me trouvais à Saint-maximin, chez Socrate et Platon, et celle qui les nourrit, Danielle. C'était le printemps de l'écriture. J'ai commencé un petit quelque chose. Deux personnages sont nés.