dimanche 4 mars 2018

Moscou-Paris | 3



Le souvenir cristallisé prend la forme de la boule à neige stabilisée juste après avoir essuyé les secousses répétées pour que tombe la neige. Quelques flocons volètent encore sur ces deux silhouettes se dirigeant vers la station de métro Blanche. Fuir la nostalgie de l’âge de la danse et la morsure du froid. Elles sont en retard pour la séance de 15h15. Place Clichy, elles vont voir « La Forme de l’eau », de Guillermo del Toro. Une parenthèse enchanteresse de deux heures de bonheur bleu, vert,  bleu-vert, celadon, jade, kaki, ou vert bouteille et un amour inconditionnel pour ce film transgenre, baroque et onirique. On n’en dira pas plus ici et si conseil il y avait à donner, ce serait de ne rien lire avant, rien entendre, juste se couler dans la forme de l’eau del Toro.

L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est-ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature – l’amour s’y adapte.  Guillermo del Toro


Avec l’amie, sommes deux créatures aquatiques qui nous coulons jusqu’aux Abbesses. Pour reprendre pied, nous devons nous restaurer de nourritures terrestres – parmi lesquelles un vin des terres du sud, du Gard pour être précis. Un peu plus terriennes, nous nous ancrons au réalisme de « Baby » de Jane Anderson, mis en scène par Hélène Vincent au théâtre de l'Atelier. Spectacle intelligent et subtil sur le conflit de deux classes sociales incarnées par deux couples dont l’enjeu est un bébé porté par le personnage joué par Isabelle Carré, que l’on adore. Le jeu des quatre autres comédiens est tout aussi juste et sensible la mise en scène sobre et soignée. Malgré tout, nous avons le sentiment de rester à la surface… Revenons à l’hôtel, flottantes.


Parfois l’eau, comme le souvenir, prend la forme d’une perle. Ce n’est plus la boule à neige cristallisant et figeant un moment suspendu en monument de pacotille touristique. Non c’est quelque chose que l’on n’attendait pas et d’autant plus beau, qui apparaît dans la nacre d’une huître. J’oublie de lire à l’amie un passage de Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel[1] lu dans le TGV et dont j’ai noté la page pour elle. J’aurais dû le lui lire ce soir-là.

            En croquant dans la chair d’une huître, je me sentis défaillir. J’avais bu abondamment, mais ce n’était pas le vin qui me retournait le cerveau. Trouver la vie qui mène à l’espace absolu, je m’enivre pour ça ; mais toujours je reste au bord du mystère. Non, ce soir je défaillais de plaisir parce que la chair de l’huître est un délice qui procure des frissons : on dirait des trésors de nacre vous scintillent sur la langue ; et cette huître-là, que la serveuse m’avait désignée comme un « Grand Cru » de Normandie, fondait dans la bouche comme un bijou marin.

L’eau de nos rêves prend la forme d’une lune pleine de promesses.






[1] Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, Gallimard « L’infini », 2017, p. 155

2 commentaires:

  1. Tes textes sont vraiment beaux et font jaillir les souvenirs, pourtant si récents ! Plongée dans le roman d'Isabelle, "Les Rêveurs" avec délice, en le lisant j'entends sa voix, ses sourires qui savent si bien dérouler les saveurs d'une enfance.... bises de l'amie

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  2. oh! merci l'amie! je crois que ce sont les souvenirs qui sont beaux (davantage que mes petits textes mais je prends plaisir à les écrire) et pour la dernière journée j'attends quelques-unes de tes images car je n'en ai pas beaucoup...

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